Tous les articles par Machin

La vie sexuelle des cannibales, de Marteen Troost

Récit de voyage paru en 2004. Dans les années 90, Marteen Troost, un vingtenaire étatsunien, suit sa compagne qui a accepté le poste de directrice du FSP (un programme d’aide au développement) aux îles Kiribati. Attirés tous les deux par l’idée de vivre dans un paradis tropical, ils vont au cours de leurs deux années sur place découvrir la réalité de la vie insulaire dans un pays particulièrement pauvre. Au delà des attendus sur l’électricité sporadique et l’approvisionnement épisodique en denrées venant du monde extérieur, c’est l’absence de tout à l’égout, de traitement des déchets, de nourriture fraîche autre que du poisson (potentiellement contaminé par les eaux usées), et d’eeau si la sécheresse dure trop longtemps qui vont se faire sentir. Troost raconte sa vie sur place dans un style pince-sans-rire, et un quotidien où en tant qu’homme au foyer il occupe ses journées à trouver du poisson comestible, l’inspiration pour un roman qu’il n’écrira jamais, ou la bonne façon de bodyboarder une vague sans attirer un requin. Le récit est entrecoupé d’info sur l’Histoire des Kiribati et leurs relations avec les autres pays océaniens.

C’est un récit de voyage moderne assez réussi et qui se lit bien. Une sorte d’anti-récit de voyage vu que tout épique en est absent, je recommande si vous aimez ce style de récit.

Randonnée au refuge d’En Beys

Retour dans la vallée d’Orlu, après la rando faite il y a quelques années avec Stram. Deux jours de randonnée en duo, en partant de l’Hospitalet-près-l’Andorre et en arrivant à Ax-les-Thermes (qui ont le bon goût d’être sur une ligne de train directe depuis Toulouse). Montée de l’Hospitalet au refuge des Bésines puis suivi du GRP tour des Pérics pour rejoindre le refuge d’En Beys. Entre les deux refuges, nous nous retrouvons rapidement dans la neige, où personne n’a fait de trace avant nous. Ça fait une randonnée assez physique, même si on ne s’enfonce que de 20-30 cm, il faut faire le repérage de l’itinéraire dans un paysage où la plupart des balises sont sous la neige, ainsi que le sentier. On aura marché la première journée de 10h30 à 20h30, et on arrive fort claqués au refuge d’En Beys. Au vu des températures, on choisit de dormir au refuge plutôt que sous la tente. Je découvre au passage que mon camelback s’est consciencieusement vidé dans mon sac, épargnant par chance mon sac de couchage mais imbibant intégralement toutes mes fringues de rechange. Ambiance.

Le lendemain, journée beaucoup plus tranquille, nous redescendons d’En Beys via le parking de Fanguil puis des Forges d’Orlu. Déjeuner à Fanguil, puis peu après les Forges nous réussissons à nous faire prendre en stop par une curiste qui rentrait à Ax. Prise d’un billet de train au guichet de la gare (ça doit être le premier billet physique que je prends depuis 10 ans), puis bière en attendant le train. Retour à Toulouse vers 18h30.

Photos prises au tel donc qualité années 80.

Pic des Bésineilles
Pic des Bésineilles, de plus proche
Pic des Bésineilles toujours, autre angle et plus de neige

Et quelques photos prises par mon comparse (M) :

Yours truly au milieu de la vallée menant au lac d’En Beys
Ombre et lumière

As Bestas, de Rodrigo Sorogoyen

Drame social hispano-français paru en 2022. Antoine et Olga sont deux Français.es venu s’installer dans un village de Galice pour cultiver la terre et retaper des maisons. Antoine est opposé au projet de vente de terrains du village pour construire des éoliennes et ses voisins sont furieux contre lui, considérant qu’il leur fait perdre un argent
qui leur permettrait de sortir de la misère. La situation devient de plus en plus tendue, le statut d’étrangèr.es des deux Français rendant leur opposition inacceptable.

C’est très bien filmé, mais c’est tout sauf joyeux, il y a une tension de plus en plus palpable tout le long du film et tout le monde a l’air malheureux.

Recommandé si les films badant c’est votre came.

Hazbin Hotel, de Vivienne Medrano

Série animée et musicale dont la première saison est parue en 2024. Charlie Morningstar est la princesse des Enfers. Horrifiée par la décision du Paradis d’envoyer une armée tuer (re-tuer ?) les damnés une fois par an pour éviter la surpopulation, elle ouvre un hôtel en Enfer, dédié à la réhabilitation des pêcheurs pour qu’ils puissent accéder au Paradis. Avec le soutien d’un démon majeur qui y voit l’occasion de créer plus de chaos, elle va tenter de mener à bien son projet malgré qu’elle soit quasiment la seule à y croire.

C’était inégal. J’ai bien aimé la direction artistique, les personnages sont bien caractérisés et « attachants » (autant que des démons maléfiques peuvent l’être), le côté « dessin animé pour adulte » est globalement réussi. La trame narrative pour le moment est très classique par contre, il y a un petit côté dernières saisons de The Good Place. Et j’ai beaucoup aimé les chansons des deux premiers épisodes, qui fonctionnent très bien en tant que chanson de comédie musicale, par contre celles des épisodes suivantes font beaucoup plus chansons pop-rock génériques (sauf peut-être Ready for this).

Le Soin des choses, de Jérôme Denis et David Pontille

Essai sur la maintenance, d’un point de vue à la fois pratique et philosophique, publié en 2022.

Historiquement, la maintenance s’oppose à la valorisation historique du jetable comme une source de croissance et de diminution de la charge mentale. Enjeux de propriété intellectuelle sur la réparabilité des objets. Elle s’oppose aussi aux discours sur la disruption et l’innovation technique comme moteurs du progrès : les innovations le sont possibles qu’en s’appuyant sur des technologies et infrastructures préexistantes et maintenues dans un état fonctionnel : c’est cette maintenance de l’existant qui permet de construire du nouveau. La maintenance s’oppose aussi à la réparation : la réparation propose un récit d’une remise en état, d’un retour au status quo du fonctionnel, avec une intervention humaine ponctuelle. La maintenance est à l’inverse la perpétuation du présent : pas de tension narrative de la remise en état, et un travail de l’ombre, cyclique. Elle fait aussi disparaitre l’idée d’un état normal fonctionnel des choses : les choses ont différents états qui sont toujours dans un état d’usure variable et évolutif.
La perception habituelle des objets les conçoit comme « cristallisés », ie comme un objet qui forme un tout fonctionnel et immuable, alors que la réalité est que les objets utilisés par les humain.es sont formés de différents composants et matériaux qui interagissent au long de leur vie, s’usent, se modifient. Le point de vue de la maintenance est une vision éclatée et évolutive des objets. L’idée de l’objet cristallisé se rapproche de l’idée de la personne autonome : dans la réalité, humain.es comme objets nécessitent un travail de care : sont dans des relations auxquelles iels participent activement et qui leur permettent de fluctuer entre différents états.

Les auteurs identifient quatre grands types de maintenance :

  • La prolongation, la plus classique, qui consiste a étendre au jour le jour la fonctionnalité d’un objet. Pas d’horizon temporel précis en tête. Certaines caractéristiques peuvent être sacrifiées (la forme à la fonction, des fonctions annexes à la fonction principale : réparation d’une voiture en mettant une pièce de carrosserie d’une autre couleur, scotch pour faire tenir le câble d’un vélo, court-circuitage d’un interrupteur non fonctionnel…)
  • La permanence, vise à l’immuabilité d’un objet sur le temps long (exemple des enjeux mémoriels du corps de Lénine ou du village d’Oradour-sur-Glane, mais aussi le système signalétique du métro parisien) : beaucoup d’actes de maintenance suivant un protocole strict, beaucoup d’actions nécessaire pour que l’objet ne bouge pas. Maintien de la forme de l’objet ou de certaines caractéristiques, en sacrifiant les autres pour cet objectif.
  • Le ralentissement considère l’objet comme très peu modifiable parce que la question de son authenticité/intégrité est prééminente (œuvre d’art par ex) et voué inévitablement à la disparition, mais tente de tout faire pour la ralentir : contrôle de l’environnement et petites modifications (support pour éviter que des fissures ne s’agrandissent sur une œuvre d’art). Peut y avoir une tension usage/muséification et des divergences d’opinions sur ce qui constitue une modification acceptable : ce qui serait de la maintenance pour certain.es serait de la dégradation pour d’autres.
  • L’obstination va dans le sens opposé aux autres formes de maintenance : les objets durent plus que prévus initialement (une sonde spatiale, le rover Curiosity, des déchets radioactifs) et se posent la question de comment les humain.es le gèrent alors que ce n’était initialement pas prévu, avec souvent des budgets qui deviennent contraints. Plus généralement, question de quels objets méritent ou nécessitent d’être maintenus et quelles caractéristiques de ces objets : si pour un vélo c’est une question personnelle de l’énergie que l’on veut mettre dedans et de si la maintenance globale du vélo c’est la maintenance pièce à pièce ou le remplacement des pièces en bloc, la question se pose aussi à l’échelle collective avec les infrastructures héritées du développement passé : pipelines, centrales nucléaires, réseaux énergétiques…

Je recommande fortement.

Les Aiguilles d’Or, de Michael McDowell

Roman étatsunien de 1980. Durant l’année 1882, on suit la lutte entre deux familles newyorkaises.
D’un côté d’influents républicains, les Stallworth, bien décidés à gagner encore en influence en mettant en scène leur croisade contre le crime et le vice.
De l’autre les Shanks, famille des bas-fonds qui vie de diverses combines criminelles (avortement, recel, vol à la tire…), se retrouve pointée du doigt par les Stallworth et organise leur contre-attaque.
C’est un bon pageturner, avec une très jolie couverture pour la VF, mais c’est loin d’être inoubliable, l’histoire d’affrontement et de manigances est assez classique, et l’écriture est blanche.

Gone Girl, de David Fincher

Film étatsunien paru en 2014. Amy Elliott Dunne et son mari Nick habitent à North Carthage, Missouri. Le jour de l’anniversaire des 5 ans de leur mariage, Amy disparait.Nick parait le parfait mari éploré, mais rapidement des éléments vont laisser penser qu’il cache peut être un certain nombres de secrets, et qu’il en sait peut-être plus sur la disparition de sa femme qu’il ne le laisse entendre…

Spoilers ci dessous

En corps, de Cédric Klapisch

Film français de 2022. Élise, danseuse classique, voit son copain embrasser une autre danseuse juste avant une représentation. Bouleversée par cette trahison, elle se blesse pendant le spectacle.
Confrontée à la possibilité que sa blessure l’empêche de jamais redanser, elle cherche ce qu’elle pourrait faire de sa vie à la place. Elle va prendre un petit boulot de cuisinière dans une résidence d’artistes où arrive bientôt une compagnie de danse contemporaine, qui va lui faire envisager que la danse ne se résume peut-être pas au classique…
C’était cool. Très beau générique, un peu à la James Bond en plus arty, c’était étonnant pour un film français. La danse, les résidences et les représentations sont bien filmées (dis-je avec absolument aucune connaissance du sujet). François Civil joue un perso bien cringe. C’est peut-être un peu trop de bons sentiments avec des situations compliquées qui se résolvent juste en en discutant une fois
(et bon, Élise qui écrit des lettres à sa maman morte en lui disant qu’elle commence sa deuxième vie quand elle passe de la danse classique à la contemporaine c’est quand même très cucul), mais la naissance de la romance entre Élise et Mehdi est filmé de façon crédible et touchante, j’ai trouvé, ainsi que la dynamique de groupe de la compagnie en résidence (même si le perso de Muriel Robin fait un peu trop marraine la bonne fée).

Je recommande si vous n’avez pas peur des films français qui sont des clichés de films français.

Féminicène, de Véra Nikolski

Essai antiféministe paru en 2023. C’était … intéressant à lire. C’était mauvais, hein, mais édifiant. Globalement, l’ouvrage part avec une thèse intéressante : le progrès technique a permis une élévation incroyable du niveau de vie de tous les humain.es, et encore plus de ceux vivant dans les société occidentales, qu’on a totalement occulté parce que l’on vit dedans. Cette progression des conditions de vie a encore plus bénéficié aux femmes qu’aux hommes parce qu’elle a permis de gommer les fondations de l’inégalité H/F.

Pour l’autrice, qui insiste sur le fait que naturel ne veut pas dire moralement juste, il y a bien une fondation originelle à cette inégalité : le dimorphisme sexuel notamment en termes de force physique moyenne et le handicap temporaire que sont la gestation et l’allaitement ont conduit à une spécialisation sexuée des rôles, qui a ensuite été rétrojustifiée en raisons morales et religieuses, et étendues à toutes les femmes en tant que groupe sans tenir compte des différences individuelles. Je suis pas très convaincu par le besoin d’un dimorphisme originel pour avoir une brisure de symétrie, mais soit. Le passage à des sociétés agricoles avec des grossesses potentiellement plus rapprochées (variation sur l’apport calorique) mais plus de mortalité infantile (conditions de vie) a encore aggravé cette différence entre les sexes et empiré la position féminine.

Là dessus arrive la révolution industrielle et la mécanisation, qui permette de faire disparaitre le besoin de force physique dans l’agriculture, dans l’industrie, et crée un secteur des services où elle n’a jamais été nécessaire. Décollage aussi de la médecine, avec l’asepsie, les antibios : effondrement de la mortalité infantile, puis techniques de contrôle des naissances (qui pour l’autrice sont la cerise sur le gâteau mais bien moins cruciales que la baisse de la mortalité infantile et des risques liés à l’accouchement), et financement collectif du système de santé et d’éducation (école, modes de garde, hôpital public). Dans notre monde dopé à l’énergie abondante, toutes les raisons qui pouvait expliquer historiquement (selon l’autrice) une différence de rôle H/F ont été supprimées par la technique. Ce serait ce phénomène selon elle, et non pas les combats féministes, qui expliquent les progrès de la cause des femmes dans le monde (elle concède que c’est pas le cas partout, même dans des pays industrialisés comme l’Arabie Saoudite, mais c’est selon elle 1/une survivance de l’ancien système et 2/ le poids de la religion).

Mais du coup, dans un monde qui voit arriver une triple crise climatique/des ressources/de l’antibiorésistance qui risque de gommer ces progrès techniques, sera-t-il possible de préserver le progrès social ? L’autrice note qu’on ne va pas avoir le retour au moyen-Âge : les connaissances, notamment en termes de médecine, ne vont pas disparaitre. Mais il y a un risque réel, et les débats actuels du féminisme ne se focaliseraient pas sur ce risque mais sur des combats juridiques/législatifs qui ne serviront à rien si l’État de droit disparait. Pour elle le féminisme devrait pousser les femmes à investir les domaines techniques pour pérenniser les techniques qui sous-tendraient leur émancipation.

Ça, c’était la partie intéressante de l’ouvrage. C’est une thèse avec des éléments pertinents, je suis pas d’accord avec tout, mais ça pose des sujets intéressants. Mais c’est noyé dans des attaques totalement gratuites sur le mouvement féministe actuel, et l’autrice n’a pas peur de nous ressortir tous les poncifs du genre, dans une magnifique bingo de droite : les féministes se trompent de combat, desservent la cause, ne s’intéressent qu’au point médian et à la dénonciation de doléances individuelles et n’incitent pas les femmes à s’engager dans les sciences dures (ah). On a le marqueur ultime de la droitardise recuite : un nombre hallucinant d’ad hominem sur Sandrine Rousseau. Parmi les affirmations gratuites, visiblement les féministes actuelles ne se préoccupent pas de santé (toutes les personnes bossant à ou soutenant le Planning Familial apprécieront), et personne ne fait le lien entre changement climatique et féminisme (deux lignes plus loin elle cite un rapport de l’ONU sur le sujet). Et puis les féministes ne connaissent pas le nom de l’inventeur de l’asepsie alors qu’il a tant fait pour les femmes (je gage que l’autrice ne le connaissait pas non plus avant de le googler pour l’écriture du livre). C’est quand même tout à fait dommage de gâcher un propos de fond qui gagnerait à être effectivement débattu par autant d’attaques complétement gratuites.

Pour en revenir au fond, j’ai l’impression que même si la thèse est intéressante, l’autrice mélange un peu trop progrès relatif et progrès absolu : oui les femmes ont beaucoup gagné aux progrès de la médecine depuis le Moyen-Âge. Les hommes aussi. Peut-être que les femmes comparativement un petit peu plus, mais je ne vois bien en quoi ce serait pour autant la tâche des féministes en particulier de sauvegarder les acquis de la médecine plus que de n’importe quel humain.e. De plus, si un monde instable va effectivement affecter les femmes encore plus que les hommes, l’enjeu n’est pas tant pour moi de sauvegarder la flamme de la civilisation dans la tempête (mais je suis pas surpris de cette vision décliniste de la part d’une personne de droite) que de réfléchir à une décroissance planifiée et socialement juste pour que la baisse de conso des ressources amène à perdre les voyages en avion plutôt que le système hospitalier. Bref, l’argument de la crise climatique sert surtout à dire que les féministes se trompent de combat et ferait mieux de devenir physicienne et militaire plutôt que de réclamer sans cesse. Dommage, parce qu’il y a un vrai sujet de comment aller vers un monde à +2°C qui reste le plus juste possible, mais la première étape n’est pas de taper sur le féminisme.

Rosie Carpe, de Marie Ndiaye

Roman français de 2001. Rose-Marie Carpe grandit à Brive-la-Gaillarde, dans une famille sans amour. Elle monte à Paris pour ses études avec son frère, les abandonne, va travailler dans un hôtel à Antony. Elle couche avec le manager assistant, a un enfant, retrouve son frère, part le rejoindre en Guadeloupe. Pendant ce temps elle est dissocié, comme à côté d’elle même, spectatrice de sa propre vie.

C’est un roman assez déprimant, les personnages sont globalement tous infects (sauf Lagrand, mais qui n’est quand même pas incroyable) et veules, surtout la protagoniste principale (il lui arrive plein de merdes mais elle est aussi horrible elle-même). Mais c’est bien écrit et prenant (alors qu’il ne se passe pourtant pas grand chose).