Tous les articles par Machin

The VVitch, de Robert Eggers

Film étatsunien de 2015. Dans l’Amérique des tous débuts de la colonisation, une famille de Puritains part vivre loin de tous les autres colons suite à des différents religieux. Tentant de subsister sur une ferme isolée où les récoltes sont mauvaises, la famille fait face à la disparition inexpliquée du plus jeune enfant, et suite à plusieurs phénomènes potentiellement paranormaux, va se déchirer, s’accusant mutuellement d’avoir pactisé avec le diable et perdu la foi.

Le côté reconstitution d’époque était intéressant. Il y a effectivement des événements paranormaux dans le film, mais vu l’environnement de la famille et ses croyances, il n’y avait pas besoin qu’ils soient là pour qu’ils se déchirent. Les deux jumeaux qui courent dans tous les sens et rendent dingue leur grande sœur suffisent bien. Après c’est quand même assez lent, il ne se passe pas grand chose pendant une bonne partie du film, mais l’ambiance est bien posé, bande-son bien discordante qui fonctionne bien pour plonger dans le côté angoissant.

Heretic, de Scott Beck et Bryan Woods

Film d’horreur états-unien paru en 2024. Deux missionnaires mormones arrivent à la porte de M. Reed, un potentiel prospect pour une conversion. Mais si Reed a bien demandé à être recontacté par des missionnaires, ce n’est pas pour une conversion. Il prétend avoir une preuve de ce qu’est la religion originelle dont toutes les autres seraient des dérivées, les missionnaires ont juste à aller au fond de sa maison pour la découvrir.

J’ai beaucoup aimé. Reed est joué par un acteur connu totalement à contre-emploi par rapport à ses rôles habituels, et ça marche très bien. Il joue bien le psychopathe qui sait charmer son auditoire et jouer sur la sidération. Globalement la dynamique du film qui repose sur beaucoup de dialogues – d’abord Reed en roue libre devant son auditoire captif (avec une dynamique genrée évidente du mec plus âgé qui expose ses théories à deux jeunes femmes) puis les réponses de missionnaires qui arrivent à sortir de la dynamique qu’il cherche à imposer – est réussie. Le côté maison fucked up qui est un de mes petpeeves de film d’horreur est bien rendu, avec la thématique de la descente progressive.

Recommandé.

Children of Memory, d’Adrian Tchaikovsky

Troisième tome dans la trilogie Children of, après Children of Time et Children of Ruin. On retrouve notre civilisation interespèces composée d’Humain.es, de Portides, de Céphalopodes et de microbiote Nodien (si vous ne comprenez rien, lisez les deux tomes précédents !), ou plutôt l’équipage d’un vaisseau d’exploration issue de cette civilisation (globalement ce roman va resserrer le cadre à quelques personnages, on est loin de la dimension space opera des deux tomes précédents), qui va visiter deux planètes qui faisaient partie des projets de terraformation de l’Ancien Empire Terrien : Rourke, puis Imir. Sur la première, une nouvelle espèce dont l’intelligence fonctionne seulement par paires d’individus hyperspécialisés, sur la seconde une colonie d’humain.es isolés, issu.es d’un vaisseau-arche mais dont la technologie a régressé et dont le monde est au bord de l’effondrement écologique (voire, l’a franchi et court dans le vide) et aux abois. Une mission d’observation va s’infiltrer dans la colonie pour déterminer selon quelles modalités le premier contact serait possible avec cette civilisation post-spatiale qui s’imagine un ennemi de l’intérieur au fur et à mesure que ses conditions de vie empirent. Dans cette situation on suit notamment Liff, enfant dont les souvenirs semblent contradictoires entre eux ou directement sortis de son livre de contes, ce qui laisse planer quelques interrogations sur les mécanismes de ce qui se trame sur Imir…

J’ai vu pas mal de critiques négatives sur internet, mais perso j’ai bien aimé. C’est pas au niveau de Children of Time, mais pour moi ça vaut Children of Ruin, juste pas du tout dans le même style space opera. Il y a quelques longueurs, mais la narration avec des aller-retours dans le temps fonctionne bien pour moi. Le côté conte de Grimm et la perception de certains membres de la civilisation interespèces par le regard d’une enfant humaine « à l’ancienne » marche plutôt bien (Avrana Kern en sorcière ou « Paul et ses enfants », c’est limite une fanfic de l’univers déployé jusqu’ici par l’auteur), et rejoint ce que Tchaikovsky avait fait dans Elder Race. Les questionnements sur l’identité déployés par l’auteur avec les différentes versions de Miranda (et de Kern dans une moindre mesure) fonctionnent bien pour moi (ceux sur la conscience aussi, mais c’était déjà le cœur des deux tomes précédents, c’est pas la nouveauté ici).

Recommandé.

Survivre, de Frédéric Jardin

Film français paru en 2024. Une famille est en croisière sur un bateau au large de Cuba lorsque l’inversion des pôles fait disparaitre la mer sous le bateau (l’océan part sur les continents (???) pendant que le bateau reste sur place (????)). Bon, on va accepter cette prémisse. Depuis leur bateau échoué sur le désert, les 4 protagonistes vont devoir atteindre un bathyscaphe à quelques jours de marche, pour y trouver refuge en prévision du retour de la mer à son emplacement originel quand les pôles vont se réinverser.

J’aime bien regarder des films de genre français, et le côté « randonnée dans un désert parsemé de poissons morts et de bateaux échoués » est trippant (mention spéciale au porte-conteneurs), mais l’histoire de la famille Ricoré était quand même très peu intéressante. C’était pas non plus Abigail en termes de personnages nuls, mais c’était pas passionnant.

J’ignore comment tout cela va finir, de Barry Graham

Recueil de nouvelles paru en 2023 (en France, mais il n’a pas d’équivalent en VO). Des Écosssais, adultes ou enfants, ont des histoires de vie. J’ai beaucoup aimé les nouvelles Elle ressemblait à Tom Hanks et Une chanson d’amour, peut-être, toutes les deux sur une relation amoureuse. Les autres m’ont un peu moins parlé mais globalement j’aime bien le sentiment qui se dégage du recueil.

L’Origine des Larmes, de Jean-Paul Dubois

Roman français de 2024. Lors de sessions de psychothérapie prescrites dans le cadre d’une obligation de soins, Paul raconte à son psy sa relation avec son père, qu’il considère comme l’incarnation du mal, et comment les actes de ce père l’on conduit à lui tirer dessus… après sa mort. Le livre se passe en 2031, dans un Toulouse où le changement climatique a mené à des pluies persistantes, mais ce n’est pas de la SF pour autant, les pluies sont plus le reflet de l’état intérieur du personnage. On suit la jeunesse, l’adolescence et l’âge adulte de Paul, et les diverses actions de son père, qui sont à chaque fois d’une méchanceté mesquine : ce n’est jamais en mode génie du mal, mais c’est toujours de la cruauté gratuite envers Paul, sa mère ou des gens randoms, une vie au service de la banalité du mal et à se faire du fric avec des combines minables à base de médicaments périmés revendus sous le manteau. Paul en ressort bien dysfonctionnel mais attachant, travaillant dans l’entreprise maternelle de housses mortuaires et ayant pour seules relations affectives des chiens.

Le roman était sympa, mais je n’ai pas été transporté non plus.

Severance, de Dan Erikson

Black Mirror x The Stanley Parable

Série télévisée produite par Apple TV, sortie en 2022. 20 minutes dans le futur, l’implantation d’une puce dans le cerveau permet de créer une nouvelle personnalité, consciente uniquement le temps de l’activation de la puce. Cette innovation est utilisée par Lumon, une entreprise mystérieuse et hégémonique, pour protéger les aspects confidentiels de ses opérations. La série suit les employés du département de Macro Data Refinement dans leur vie au cœur de Lumon, et l’un d’eux, Mark, dans sa vie privée.

J’ai beaucoup aimé, j’ai regardé toute la saison 1 en moins de 24h. Le rythme est un peu trop lent tbh, j’ai tout regardé en x1,6, mais à ce point près c’était très bien. La série est une allégorie pas très subtile mais efficace de l’aliénation au travail. Les personnalités qui ne sont activées que dans les locaux de l’entreprise- les innies – vivent perpétuellement sur leur lieu de travail : elles ressentent les effets sur leur physiologie de la vie de leurs outies, mais elle enchaînent les journées de 8h sans percevoir l’extérieur ni le sommeil. L’entièreté de ce qu’elles connaissent leur est fourni par Lumon, qui les maintient ainsi dans une dépendance totale : pas de risque que les employés ne soient perturbés par leurs ressentis extérieurs ou qu’ils tentent de se syndiquer, quand ils ne connaissent rien d’autre que la Parole du fondateur de l’entreprise (et je mets une majuscule à Parole à dessein, parce que le fonctionnement interne de Lumon ressemble largement plus à celui d’une secte qu’à celui d’une entreprise). Si le monde extérieur à Lumon semble dans la série fonctionner selon les mêmes règles que le notre d’un point de vue des normes sociales et des grands enjeux, le monde interne de Lumon et donc l’entièreté de l’univers des innies semble largement plus perché : leur travail consiste à repérer les nombres « effrayants » sur des moniteurs qui affichent des rangées et des rangées de nombres. le système de valeurs, de récompenses, d’esthétique de Lumon semble sorti d’un manuel de management des années 70, avec des cocktails corporates à base de boules de melons ou d’œufs mimosa apportés sur des dessertes pour les quatre personnes du département de Macro Data Refinement qui ne se fréquentent qu’entre elles.

Par ailleurs, les pratiques de Lumon envers les innies sont très littéralement du fascisme : les innies n’existent qu’en relation à une superstructure omniprésente et omnipotente qui contrôle chaque aspect de leur existence. Les mots sont vidés de leur sens : la salle de punition des comportements déviants est renommée break room, il y a un sous entendu de violence toujours présent avec le chef de la sécurité, les déviations du protocole sont punies par une forme de torture mentale. Clairement on est au delà de l’aliénation « classique » par le travail ou même le néolibéralisme. Et pourtant même dans cette structure écrasante, les employés se révoltent, tentent de comprendre le sens global de ce qu’ils font et de ce qui leur est imposé, et tentent de s’échapper du système pour chercher une vie meilleure.

La série pose aussi la question de ce qu’est le soi et des questions éthiques afférentes à son McGuffin technologique : en acceptant la dissociation, les outies revendiquent de travailler sans s’en rappeler et potentiellement s’offrent un revenu sans avoir à subir les conséquences psychologiques du travail (enfin, ils perdent quand même 8h/jour + les temps de trajet, c’est pas rien), mais surtout ils créent un innie qui ne connaitra que le travail et n’a pas son mot à dire : si les innies peuvent poser leur démission, elle doit être acceptée par leur outie, qui s’il ne se considère pas la même personne, n’a aucun intérêt à le faire. La série est un peu dans la même veine que (les bons épisodes de) Black Mirror, qui explorent les conséquences sociales et morales d’une invention technologique.

Enfin, sur l’ambiance générale de la série, que ce soit l’environnement corporate mi-The Office mi-Stanley Parable de Lumon ou le monde extérieur, tout semble assez déprimant et aliénant : il y a peu de lumière ou alors des néons, il fait froid, tout est enneigé, les parkings sont immenses … Ça colle bien au propos mais c’est quand même pas mal déprimant. Les acteurs sont très bons dans leur rôles, les histoires de tous les personnages secondaires du département du héros sont attachantes et consistantes.

Globalement, bonne série, un peu lente mais beaucoup de bonnes idées, une esthétique réussie, des fils narratifs qui fonctionnent plutôt bien. La fin de la saison ne résout pas grand chose, on attend avec enthousiasme corporatiste la sortie de la S2. Je recommande.

EDIT 2025 : Saison 2

La saison 2 lève un peu le voile sur les activités de Lumon. On a du background sur la société, un peu sur les personnages principaux autres que Mark. Les enjeux révélés par le plot-twist final de la saison 1 occupe une grosse partie de la saison, mais les autres lignes narratives ajoutées fonctionnent bien. J’ai beaucoup moins de choses construites à dire que sur la S1, mais je l’ai regardée avec autant de plaisir (et en vitesse x1). Kudos particulièrement au final complètement unhinged avec l’arrivée du département Choreography and Merriment et la petite choré flippante de Mr. Milchik (personnage d’antagoniste très réussi tout du long), et à l’épisode où les innies sont en extérieur pour du team building assez terrifiant.

Adolescence, de Jack Thorne et Stephen Graham

Série anglaise en 4 épisodes filmés en plan-séquence. On suit initialement la garde à vue d’un adolescent suspecté d’avoir tué une de ses camarades de classe. Le premier épisode fonctionne très bien, le 3e aussi, le 4e est une coda intéressante et le 2e est inutile. Le dispositif du plan séquence marche surtout bien sur les 1 et 3, pour le côté plongée dans l’action en continue, et surtout sur le 3e, vu le côté face à face étouffant. L’acteur principal joue très bien.

Thèmes assez badant, mais série qui vaut le coup.

Mickey 17, de Bong Joon Ho

Film de science-fiction paru en 2025. Pour échapper à ses créanciers et embarquer sur une expédition spatiale vers une exoplanète, Mickey Barnes accepte de devenir un expendable : sa mémoire est scannée en permanence et son corps réimprimé à chaque fois qu’il meurt, justifiant de lui faire faire toutes les missions périlleuses du vaisseau. Ca n’en fait pas du tout un héros aux yeux de l’équipage, plutôt un rat de laboratoire bien pratique. Un jour le processus dysfonctionne et un nouveau Mickey, Mickey 18, est imprimé alors que Mickey 17 est toujours vivant. Les deux versions de Mickey vont tenter de trouver des modalités de cohabitation et de dissimulation alors que cette situation est totalement interdite.

J’ai bien aimé. Ce n’était pas au niveau de Parasite, mais c’était un bon film de science-fiction satirique. Le chef du vaisseau est une parodie de Trump assez réussie (il y a de fortes vibes Don’t Look Up). Pattison joue bien les deux versions de Mickey et leurs caractères radicalement opposés (on est pas sur un niveau de réussite de Orphan Black, mais ça marche bien quand même). Tout est un peu grand guignol, mais on s’attache aux personnages, et les persos secondaires sont tous assez réussis (mention spéciale à Naomi Ackie qui joue Nasha, largement moins one-sided que les autres personnages, et que j’ai trouvée plus convaincante que dans Blink Twice (mais je pense que c’est vraiment une question de rôle et pas d’actrice) : elle est à la fois badass, horny, droguée, charismatique…)

Recommandé si vous avez aimé Don’t Look Up.

Foules sentimentales, de Pauline Machado

Essai paru en 2024.

L’autrice analyse comment la structure des grandes villes impacte les relations sentimentales qui peuvent s’y nouer.

Présentation des villes comme des territoires mythifiées (vision de NY ou Paris présentées dans les films, imaginaire qu’on en a depuis des territoires plus ruraux) : la ville est là où les choses sont possibles, où les destins peuvent changer : c’est le château du prince dans les contes de fées, là où il faut être pour rencontrer la bonne personne qui va changer votre vie. C’est une vision assez passive, où l’on attend d’un facteur extérieur (le grand Amour, un événement révélateur, un travail) qu’il vienne bouleverser notre vie. Mais c’est une vision qui est largement propagée dans la pop culture et les romcoms.

La ville est un « vivier de célibataires », où le nombre de personnes dans cette situation permet statistiquement des rencontres multiples et un anonymat : l’usage des applis n’est pas du tout le même en territoire rural qu’en territoire urbain. Cet anonymat permet aussi de se réinventer, de se présenter sous son meilleur jour lors d’une nouvelle relation : on n’est pas précédé de sa réputation. Il y a aussi une prise de risque plus faible quand on peut draguer quelqu’un.e qui n’a pas de risques de recroiser nos cercles sociaux : si ça ne marche pas chacun.e reprend son chemin, pas de gêne pérenne ou de passif. Le fait de vivre entouré d’inconnu.es donne de plus l’habitude d’interagir avec des gens sur ce mode « relation entre inconnu.es qui se recroiseront plus », ce qui simplifie le fait de se lancer dans des échanges avec une dimension de séduction avec ces mêmes inconnu.es (practice makes perfect).

Question aussi du coût de la vie en ville, surtout dans les capitales : incite les couples à cohabiter plus rapidement et à faire durer les relations cohabitantes, même quand elles battent un peu de l’aile, parce qu’il sera compliqué d’assumer le coût de la vie seul.e. En revanche, la durée des transports en plus de durée de travail en moyenne un peu plus longue diminue le temps qui pourrait être consacré à du temps perso et notamment relationnel (encore plus vrai pour les personnes habitant dans les banlieues et périphéries des grandes villes plutôt qu’au centre). Enfin, le prisme productiviste plus présent dans les villes que sur le reste du territoire, peut se retrouver dans la façon d’aborder les relations amoureuses (hustle culture aussi dans le dating). A l’inverse, les couples se forment plus tôt (dans la vie des gens, pas dans la relation elle-même) dans les territoires ruraux, et les gens ont des enfants plus jeunes.

L’autrice détaille un peu les possibilités de romances et relations queer dans les villes, et ce côté oasis de rencontres possibles vs le désert que seraient les campagnes, mais lui tord rapidement le cou : si les villes ont cette image et qu’il y a plus d’occasion de socialité queer explicitement marquées comme telle, les territoires ruraux sont plein de personnes queers aussi, juste moins visibles.

C’était sympa mais on reste dans le travers essai de journaliste, je voudrais un travail plus étayé de mon côté.