Léon Morin, prêtre, de Jean-Pierre Melville

Film de 1961. Durant la seconde guerre mondiale et à la Libération, une militante communiste, Barny, a une conversation suivie avec un prêtre. Commencée avec l’optique de lui montrer que l’Eglise est dévoyée, elle se laisse peu à peu convaincre par ses arguments en faveur de la foi, trouvant en lui un prêtre jeune, moderne, et inspiré par la théologie de la libération le catholicisme social (cf commentaire) plus que par le dogme (et particulièrement beau – il est joué par Belmondo, et sa beauté est un des points abordés plusieurs fois par le film). En parallèle, on voit ses activités de militante communiste et de travailleuse à l’école dans le cadre de la guerre et de la Libération.

Sur le papier c’est intéressant, mais même si l’héroïne est indépendante et active, dans sa relation avec Léon Morin, elle ne réussit jamais à avoir le dessus intellectuellement, et si elle est attirée par lui physiquement, et que c’est intéressant d’avoir un film qui parle de beauté masculine, on a quand même l’impression que ça la handicape et la place en position de faiblesse dans leur relation intellectuelle.

2 réflexions sur « Léon Morin, prêtre, de Jean-Pierre Melville »

  1. C’est un de mes films préférés et je ne peux donc que rejeter cette analyse. Je trouve ce film formidable et très moderne pour beaucoup de raisons, qui en fait se rejoignent (autant dire que je n’ai pas vraiment de plan).
    Contrairement à ce que pourrait suggérer son titre, Léon Morin n’est d’après moi ni le sujet ni l’objet principal de ce film. C’est en fait le portrait d’une femme en pleine crise existentielle.
    Le contexte ressemble à première vue à une expérience de Marivaux : un monde où il n’y a plus d’homme. Evidemment, ce n’est pas tout à fait vrai, il y a le professeur de philosophie de l’école par correspondance où Barny travaille, les maris de ses amies, et les soldats des armées d’occupation. Mais le premier est vieux, les seconds sont au maquis et Barny est communiste, donc peu portée sur les fascistes. Dans l’univers de Barny, il n’y a donc plus d’homme, et Barny s’ennuie. L’absence des hommes n’est pas la cause de son ennui, mais elle le rend plus présent, plus palpable.
    Comme Barny s’ennuie, elle se met à fantasmer sur les rares êtres qui lui semblent dignes d’intérêt : d’abord la belle secrétaire de direction de l’école où elle travaille, puis ce prêtre qu’elle a rencontré par hasard. Dans les deux cas, des tabous, et c’est d’ailleurs sûrement pour ça qu’ils attirent Barny, si l’on met de côté leur beauté, largement sublimée par la médiocrité environnante. Barny cristallise, et si elle ne passe pas à l’acte avec sa collègue, je ne pense pas que ce soit vraiment dû aux préjugés homophobes de l’époque, mais plutôt au refus de se confronter à une vraie personne. En témoignent sa description déjà mystique et enfiévrée de Sabine, et son quasi dégoût pour la détresse qui se met à envahir visiblement la jeune femme, juive, au fil du film.
    Il en va de même pour Morin. Bien sûr qu’elle l’apprécie, mais ce qu’elle préfère, c’est qu’il ne cède pas, alors même qu’il n’est visiblement pas indifférent. S’il cédait, je doute qu’elle continuerait à l’aimer. Mais revenons à leur rencontre : c’est pour tromper l’ennui qu’elle décide d’attaquer (verbalement, et assez puérilement) un confesseur. C’est pour tromper sa solitude qu’elle continue à le fréquenter.
    Barny me fait penser à Valmont. Elle décide d’essayer de conquérir un homme inaccessible pour donner un sens à une vie de libertine (ici au sens philosophique du terme) blasée. Et elle souffre parce qu’en sa compagnie elle ne voit que plus nettement ses propres défauts. Pour moi la question de la supériorité intellectuelle ne rentre pas du tout en compte dans cette histoire, malgré la longueur des controverses théologiques. Barny est, à mon avis, convaincue de son athéisme, même lors de sa crise mystique. Evidemment que Morin est supérieur sur le terrain des arguments, après tout, c’est son domaine. En vérité, Barny ne cherche pas à le convaincre, elle cherche simplement à gagner du temps, cette relation étant tout ce qui la fait se sentir vivante.
    Et c’est pour cela qu’elle envie la foi de Morin, ou celle, toute simple, de sa fillette : elle entrevoit le sublime, elle voudrait croire, pour tromper son ennui et son désespoir, mais elle sait très bien qu’elle ne peut pas. Que faire quand, à même pas 30 ans, on a l’impression d’avoir fait le tour de la vie, et qu’on a le malheur de ne pas avoir la foi ? Barny, trop exaltée et trop rationnelle, ce qui représente un obstacle certain à la tranquilité de l’âme, tente de trouver une réponse à cette question toujours pertinente.
    Et c’est en fait ça que je trouve extraordinaire dans ce film (je n’ai pas lu le livre) : nous avons devant nous un sujet, un être humain si unique qu’il en devient universel. Et c’est une jeune femme ! L’autrice (le récit est largement autobiographique), le réalisateur et Emmanuelle Riva ont réussi à faire exister cette femme, qui est tout à la fois grandiose et médiocre. On croirait lire les Confessions de Rousseau, l’humour en plus. Un portrait de femme qui est le portrait d’une personne, ni idéalisée, ni caricaturée, c’est aujourd’hui encore si peu commun qu’on ne peut que s’étonner que le film date des années 1960, et applaudir ce qui ne devrait pas être une exception.
    Barny est une héroïne, elle met sa vie en péril plusieurs fois dans le film, une mère célibataire indépendante à l’intelligence vive, une militante et une intellectuelle. Mais c’est aussi une personne extraordinairement centrée sur elle-même, assez frivole à certains égards. Cette petitesse couplée à cette grandeur, c’est ce qui fait de Barny un des plus grands personnages du cinéma français.
    De cette introspection dans la vie d’une résistante découle une peinture frappante de la vie sous l’Occupation. On évoque peu en fin de compte la grande banalité du bien. On évoque peu le fait que les résistants et les résistantes aient pu passer leur temps à maugréer ou aient pu éprouver de l’affection pour des amies collaboratrices. Barny n’est pas présentée comme une héroïne, alors qu’elle en est une assurément, mais comme une femme obnubilée par sa solitude et les divertissements qu’elle s’invente pour y remédier, et qui, oui, en arrière-plan, risque sa vie, sans que cela ne semble beaucoup affecter son existence.
    Il en va d’ailleurs de même pour Morin, puisque ce film est aussi un beau portrait d’homme, et un rare exemple de female gaze. Peut-être est-ce d’ailleurs un beau portrait d’homme grâce à ce regard fasciné que l’héroïne et narratrice pose sur lui : on n’a pas l’habitude de voir un homme de l’extérieur. Mais Morin n’est pas exempt de défauts ; il est un peu colérique, un peu vaniteux (il aime le regard que les femmes posent sur lui), et il joue à un petit jeu dangereux : allumer ses paroissiennes de moins de 30 ans (et le salut de leur âme a bon dos). C’est en somme lui aussi un homme admirable et méprisable.
    Barny et Morin sont donc des sortes de héros hugoliens (je cite in extenso, au point où j’en suis, c’est dans la préface de Cromwell) :
    « Du jour où le christianisme a dit à l’homme : « Tu es double, tu es composé de deux êtres, l’un périssable, l’autre immortel, l’un charnel, l’autre éthéré, l’un enchaîné par les appétits, les besoins et les passions, l’autre emporté sur les ailes de l’enthousiasme et de la rêverie, celui-ci enfin toujours courbé vers la terre, sa mère, celui-là sans cesse élancé vers le ciel, sa patrie » ; de ce jour le drame a été créé. Est-ce autre chose en effet que ce contraste de tous les jours, que cette lutte de tous les instants entre deux principes opposés qui sont toujours en présence dans la vie, et qui se disputent l’homme depuis le berceau jusqu’à la tombe ? La poésie du christianisme, la poésie de notre temps est donc le drame ; le caractère du drame est le réel ; le réel résulte de la combinaison toute naturelle de deux types, le sublime et le grotesque, qui se croisent dans le drame, comme ils se croisent dans la vie et dans la création. »
    Barny incarne cette lutte du grotesque et du sublime. Mais dans le monde de Barny et Morin, on n’a en réalité plus besoin du christianisme pour distinguer le mal du bien, tant le mal resplendit d’un éclat triomphant. C’est donc à une reconfiguration morale à laquelle on assiste, où la religion passe au second plan, paradoxalement reléguée au statut de divertissement pascalien pour jeunes gens angoissés, de passe-temps vaniteux pour amants frustrés. En cela, Barny et Morin sont avant tout deux grands héros existentialistes, en un temps où ce sont les actes, et non plus les pensées, aussi mesquines soient-elles, qui distinguent les héros des salauds.

    PS : Pour être tout à fait honnête, je pense que ce film me touche particulièrement parce que je me sens en communion parfaite avec Barny (et je suis en totale pamoison devant Riva et Belmondo), étant moi-même une athée à tendance exaltée, et un peu obnubilée par ma propre personne (niveau héroïsme on repassera par contre).

    Petit point exactitude historique : la théologie de la libération apparaît autour de 1968. Avant, en France, on parle de catholicisme social, et Léon Morin pourrait être proche de mouvements comme la JOC (jeunesse ouvrière catholique) et de la pensée de Marc Sangnier (le créateur du journal le Sillon et par ailleurs, fun fact, l’introducteur en France des auberges de jeunesse).
    Et il me semble par ailleurs que tout le film se passe sous l’Occupation (allemande puis italienne), même si j’ai un doute pour la dernière scène.

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