Archives par mot-clé : TW abus sexuels

He fucked the girl out of me, de Taylor McCue

Jeu vidéo (ou fiction interactive, selon votre définition de jeu) créée en 2022. L’œuvre raconte les premières fois dans le travail du sexe d’une femme trans qui a besoin d’argent pour pouvoir payer son traitement hormonal. Ça parle de trauma, ça peut être dur à jouer, par moment, mais c’est réussi dans le traitement de son sujet et dans le partage d’une expérience et d’un point de vue.

L’affaire Nevenka, d’Icíar Bollaín

Film espagnol de 2024. Le film revient sur le harcèlement sexuel qu’Ismael Alvarez, maire de Ponferrada a infligé à Nevenka Fernandez, conseillère municipale, durant les années 99-2001. Après avoir été sous l’emprise du prédateur sexuel, Nevenka Fernandez va réussir à s’en détacher et déposer une plainte qui aboutira à un procès et une condamnation, la première pour un homme politique espagnol.

Le film décrit en détail comment Nevenka revient dans son village natal de Ponferrada, est honoré que la majorité en place lui propose de poste de conseillère municipale exigeant (elle préside la commission des finances) pour le nouveau mandat, est impressionnée par le personnage public d’Ismael, maire charismatique qui semble connaître tout le monde dans le village. Le film montre ensuite les approches répétées d’Ismael, la relation qu’ils ont brièvement (et où déjà Nevenka se sent mal), et surtout la descente aux enfers une fois qu’elle a mis fin à la relation et qu’Ismael Alvarez va la harceler, avec des messages et des appels répétés en permanence (la tension instillée à chaque fois par le déclenchement de la sonnerie du portable de Nevenka est très bien rendue), des dévalorisations en public et en privé alternées avec des déclarations d’amour, de la culpabilisation, des pressions via son entourage, de l’isolement, et des abus sexuels frontaux. Puis enfin, on a l’exfiltration de Nevenka, sa reconstruction progressive, sa décision de porter plainte et le procès, qui aboutira à la condamnation d’Ismael Alvarez.

C’était dur à regarder. Le film ne prend pas de pincettes pour montrer la réalité du harcèlement et son impact physique et mental sur Nevenka Fernandez. Je pense qu’il aurait été possible de passer moins de temps sur la partie descente aux enfers et plus sur la reconstruction. Il y a notamment une scène d’abus sexuels (dans la chambre d’hôtel) qui est assez horrible, et j’aurai bien voulu un peu plus de TW autour du film. En plus, l’histoire se déroulant au début des années 2000, Nevenka est très peu crue, très peu soutenue (même par sa propre famille) : à la violence du harcèlement sexuel vient s’ajouter celle d’une isolation quasi-totale à Ponferrada, où tout le village est dépendant des subventions de la mairie. C’est l’exfiltration à Madrid qui va sauver Nevenka, exfiltration opérée par deux amies qui la mettent dans un car après l’avoir trouvée chez elle dans un état de détresse psychologique absolue – mais qui in fine ne témoigneront pas à son procès parce que trop à risque de voir leur vie détruite…

C’est bien filmé, l’actrice principale joue super bien (l’acteur qui joue Ismael Alvarez aussi d’ailleurs mais dans un tout autre registre), mais gros TW. Allez-y en groupe, quand ça va plutôt bien mentalement et avec du temps pour débriefer après.

Touchées, de Quentin Zuttion

Bande dessinée française parue en 2019. On suit 3 des 6 participantes à un atelier d’escrime thérapeutique, un dispositif de guérison des traumatismes liés à des violences sexuelles par la pratique d’un sport de combat. On voit donc le cheminement de Lucie, Tamara, et Nicole, trois femmes avec des parcours très différents, qui vont se rapprocher et se soutenir les unes les autres.

Sujet pas très joyeux, mais BD réussie, des parcours de convalescence qui vont très vite mais dans le cadre d’une fiction ça passe. Un joli dessin à l’aquarelle (juste un peu perplexe sur le fait de mettre une meuf sans pantalon en couverture d’une BD sur les violences sexuelles, mais bon).

Triste Tigre, de Neige Sinno

Autofiction française publiée en 2023. L’autrice raconte les viols que son beau-père lui a fait subir pendant plusieurs années durant son enfance, sa décision de le dénoncer, la tenue du procès, et son ressenti par rapport à tous ces événements et sa vie désormais. Logiquement ce n’est pas vraiment une lecture facile, mais c’est à la fois un témoignage fort, une réflexion sur la possibilité de dépasser sur certains points ces événements et de savoir sur d’autres que ce ne sera jamais du passé, et une étude sur ce que d’autres œuvres littéraires disent de l’inceste ou du traumatisme, et ce que peut la littérature par rapport à l’inceste (pas grand chose).

Je recommande.

Per qualche dollaro in più, de Sergio Leone

Western italo-ibéro-allemand de 1965, le second de La Trilogie des Dollars. Clint Eastwood et Lee Van Cleef jouent Manco et le colonel Mortimer, deux chasseurs de primes que tout oppose. Pour abattre El Indio, bandit récemment évadé, ils font difficilement alliance. Le film va mettre en scène le braquage de la banque d’El Paso par la bande d’El Indio, l’infiltration de cette bande par les chasseurs de primes, de multiples retournements de situation et des fusillades dans tous les sens.

C’est un excellent western, Leone est très bon pour faire monter la tension à partir de n’importe quel élément. La bande son de Morricone est parfaite comme d’habitude. Bon par contre c’est un western au premier degré, donc c’est l’affrontement de deux surhommes nietzschéens, qui font comme bon leur semble, le reste du monde servant de toile de fond à leur existence et l’intérêt étant dans leur affrontement à eux trois. Le film met totalement en scène la puissance qui émane des trois personnages principaux, qui d’un regard obtiennent ce qu’ils veulent de tout les autres (jusqu’à rencontrer un autre surhomme et là y’a de la tension puis la reconnaissance d’une valeur mutuelle). Ça marche très bien en tant que film mais c’est pas forcément politiquement très enthousiasmant comme vision du monde.

Into the Forest, de Jean Hegland

Roman étatsunien post-apocalyptique apaisé sorti à la fin des années 90. On suit deux sœurs, Eva et Nell, qui vivent dans une maison isolée dans la forêt, pas loin de la ville de Redwood en Californie du Nord. La civilisation industrielle s’est effondrée pour des raisons non-explicitées, les chaînes logistiques se sont défaites, l’essence est devenu introuvable dans la région, et peu à peu les gens se sont retrouvés isolés, l’électricité et tous les réseaux sont devenus de plus en plus erratiques puis se sont totalement éteints. Ça a visiblement été la merde dans les villes, mais vivant à l’écart, Nell et Eva ont été globalement épargnées. Le récit est posté par Nell, qui écrit ce qui se passe dans un journal. L’écriture est très réussie. Elle parle de leur vie avant et après l’effondrement, de la mort de leurs deux parents, de leur trauma, de leurs émotions d’ados dans les deux mondes, de leur quotidien, de leur déni de ce qui arrive.

J’ai bien aimé (avec un caveat, voir plus bas). C’est une take intéressante sur l’effondrement, la version « le merdier est (globalement) en arrière plan, et on voit surtout les choses à hauteur d’yeux d’ados qui était déjà éloignées de la société à la base, scolarisées à la maison et avec des parents assez autarciques. Elles sont quand même affectées par la disparition de l’électricité, de leur capacité à avoir une sociabilité avec les enfants de la ville, la mort de leurs parents. Elles ne sont pas non plus totalement isolées donc elles vont avoir quelques contacts avec des personnes extérieures et ne pas totalement vivre juste entre elles (même si j’ai trouvé les interactions extérieures post effondrement un peu trop clichés).

Comme je disais, on est sur du post-apo apaisé, mais c’est pas non plus du solarpunk : c’est la merde à grande échelle, y’a des événements dark qui se passent même localement, l’autonomie alimentaire des protagoniste n’est pas du tout assurée, elles ont du bois pour le feu mais c’est leur seule source d’énergie. Bon et quand même un point WTF de ce bouquin c’est qu’il y a une scène d’inceste entre les deux soeurs. Une scène qui n’apporte rien au bouquin, n’est pas précédé de signes annonciateurs, n’est plus mentionné après. C’est genre un paragraphe, ça aurait pu ne pas être là et le roman était le même en mieux (littéralement, je me demande si on ne peut pas clamer « auctorialité partagée », éditer le fichier et sortir une version du roman avec juste ce paragraphe en moins. I might do that.)

Slalom, de Charlène Favier

Film franco-belge de 2020. Lyz, 15 ans, intègre une classe de ski-études. L’entraineur est cassant avec les élèves, mais quand Lyz se révèle d’un niveau permettant de concourir en coupe d’Europe voire aux JOs, la relation entre l’entraineur et l’élève devient de plus en plus intense et sort largement du cadre professionnel.

C’était bien. Le sujet est dur, mais c’est très bien filmé. Gros travail sur la lumière, avec des contrastes entre les scènes d’extérieur enneigés, les scènes intérieurs, plusieurs plans éclairés avec différentes couleurs. Des jeux de cadrage et de flou assez réussis aussi (la scène où Fred propose au proviseur que Lyz vienne habiter chez lui et où sa réponse à elle est donnée avec son corps à lui qui la surplombe en arrière plan, notamment).

Le film met en scène une relation malsaine mais de façon assez subtile : l’entraineur est cassant et exigeant avec les élèves, mais il n’est pas abusif comme le personnage du professeur dans Whiplash par exemple. La relation qu’il développe avec Lyz est clairement plus que problématique et en tant qu’adulte il aurait dû y mettre un stop très tôt, mais le film montre un intérêt et des avances de la part de Lyz – et montre aussi qu’au moment où les choses se concrétisent elle est totalement sous le choc : elle n’avait aucune envie que ça se réalise de la façon dont ça s’est réalisé. Les deux scènes de sexe sont d’ailleurs très très bien filmées, et dures à regarder, on voit de façon explicite l’absence totale de consentement de Lyz, tétanisée par ce qui se passe.

On montre aussi comment Fred, l’entraineur, se projette aussi dans les succès de Lyz, y voyant visiblement une façon d’avoir une deuxième chance, sa propre trajectoire de sportif ayant été coupée courte par une blessure : il s’approprie le corps de Lyz, sexuellement mais aussi sportivement. Il y a quelques longueurs dans le film, mais globalement très bon premier film, je recommande.

Bad Lieutenant, d’Abel Ferrara

Film US de 1992. On suit un policier corrompu et bourré d’addiction, qui tente en parallèle de mener une enquête sur le viol d’une religieuse et de trouver un moyen de rembourser ses dettes de pari sportif à la mafia. La scène d’ouverture où on le voit déposer ses gamins à l’école en père aimant avant de se faire une petite prise de cocaïne dès qu’ils sont hors de la voiture est très réussie. On le voit ensuite sombrer de plus en plus, consommer des quantités invraisemblables d’alcool et de drogue, accumuler les paris foireux, agresser sexuellement des femmes en abusant de sa position (scène aussi très réussie dans le genre dérangeant, avec un mec à la fois en position de pouvoir, visqueux, clairement sous substance qui s’impose à deux femmes – trigger warning de rigueur). La caméra de plus en plus nerveuse, bancale, retranscrit très bien l’état mental du protagoniste.

J’ai vu pas mal de critiques qui parlent de rédemption dans la conclusion du film, mais je suis assez peu d’accord : si le thème de la rédemption traverse le film et si le personnage y aspire probablement, je ne pense pas que c’est ce qui se passe. Il tente un truc selon ses termes mais je ne mettrai pas du tout le terme de rédemption dessus. Disons qu’il change de façon de faire de la merde.

I May Destroy You, de Michaela Coel

Série anglaise en partie autobiographique sur la vie d’une jeune écrivaine noire et sur les conséquences que son viol a sur sa vie. On suit principalement la vie d’Arabella (et ses difficultés à écrire son second livre), et de deux ami·e·s les plus proches, Terry, aspirante actrice, et Kwame, prof de fitness en club.

La série décrit un milieu et des personnes rarement montrées à la télévision, et auquel je suis moi-même profondément étranger. C’était très interessant pour ça, pour cette défamiliarisation. Je me rends notamment compte que j’ai des réflexes classistes devant, genre « ralala ils consomment trop de drogues » ou « mais comment ils peuvent dire que le réchauffement climatique osef ? », c’est d’autant plus intéressant pour moi de pouvoir réfléchir à pourquoi c’est ça ma première réaction et comment faire pour l’éviter.

Les personnages sont intéressants parce qu’absolument pas manichéens. Arabella n’est pas la « bonne victime », Terry et Kwame tentent de la soutenir comme ils peuvent mais font des erreurs, les personnages secondaires sont nuancés aussi. L’impact psychique de l’agression sur Arabella est montré de façon détaillée, les mécanismes de coping qu’elle met en place aussi, qu’ils soient sains ou non. J’ai juste été déçu par la ligne narrative de Kwame ; le jeune gay qui se perd dans le sexe et qui est sauvé par une relation longue et pas centrée sur le sexe, c’est assez cliché et conservateur par rapport au reste de la série.

Point de vue bande-son, parfois la série verse un peu trop dans le côté « on va mettre des morceaux obscurs ou des reprises edgy pour montrer qu’on est une série hype », mais l’utilisation qu’ils font de la musique est sinon intéressante, notamment le fait de la couper abruptement pour montrer des changements d’ambiance.

Enfin, le dernier épisode est très réussi dans sa construction je trouve, alors que c’était loin d’être évident de réussir à conclure proprement une série comme ça.

My Absolute Darling, de Gabriel Tallent

J’ai beaucoup aimé. Turtle, 14 ans, vit seule avec son père dans une maison se délabrant progressivement, sur un immense domaine en Californie du Nord. Son père est incroyablement charismatique, survivaliste convaincu, il apprend à sa fille le maniement des armes à feu et la survie en milieu hostile. Et surtout, il l’abuse psychologiquement et sexuellement.

Le livre est écrit du point de vue de Turtle, et il est très bien écrit. Sa relation avec son père, l’emprise psychologique qu’il a sur elle, comment ça affecte sa perception d’elle-même, sa compréhension qu’il y a quelque chose de profondément anormal et en même temps ses second-guessing sur ses déclarations d’amour est très bien rendu. Son émancipation progressive de cette emprise, catalysée par la rencontre avec d’autres personnes qui vont lui fournir des modèles alternatifs de relations familiales et le comportement toujours empirant de son père est très bien rendu aussi.

L’autre point fort du bouquin c’est sa description de la Nature et de la relation que Turtle a cette nature. Il y a de très belles descriptions (et je me rend compte que je manque de vocabulaire botanique en anglais).

Grosse recommandation.