Archives par mot-clé : roman français

Vipère au poing, d’Hervé Bazin

Roman français paru en 1948. Dans la France de l’entre-deux-guerres, Jean Rezeau et son frère, issus d’une famille catholique conservatrice, sont élevés par leur grand-mère, leurs parents étant à Shanghai où le père enseigne dans une université. La mort de la grand-mère va ramener les parents en France. Les enfants vont découvrir que leur mère est cruelle, leur imposant des corvées sans cesses croissantes, leur refusant le chauffage dans leur chambre, de sortir d’un périmètre restreint, d’avoir de nouveaux habits… Le père désapprouve ces sévices, mais sans s’y opposer. Le roman va raconter l’affrontement entre Jean et sa mère, jusqu’à ce qu’il réussisse à faire accepter sa mise en pension au collège à la place de l’éducation à la maison qui avait prévalu jusqu’alors.

J’ai bien aimé. C’est un classique de la littérature française que je n’avais encore jamais lu, qui décrit une éducation catholique et un sens du maintien de sa position – dont je dirai bien qu’elles ont disparu aujourd’hui, mais je ne suis pas tout à fait sûr que ça ne persiste pas en Vendée ou au lycée Stanislas – mais en tout cas une éducation qui n’a rien à voir avec ce que j’ai pu connaitre, sans même ajouter les rapports familiaux plus que dysfonctionnels.

Les Petites Reines, de Clémentine Beauvais

Roman jeunesse français de 2015. Mireille Laplace est une adolescente vivant à Bourg-en-Bresse. Son ancien ami d’enfance décerne tous les ans un prix de la fille la plus moche de son collège, qu’elle « gagne » régulièrement. Cette année, décidée à ne pas se laisser faire quand elle voit l’effet de ce prix sur les deux autres filles nommés, elle décide de réclamer le stigmate et de faire avec les deux autres Bourg-en Bresse Paris à vélo en vendant du boudin selon la recette ancestrale de ses grands parents. Objectif secret : réussir à squatter la garden-party de l’Elysée, pour mettre le premier Homme devant le fait qu’il est son père biologique, assister au concert d’Indochine qui sera donné et taper un scandale devant la remise de la légion d’honneur à un général, responsable de la mort de soldats lors d’une opex. L’épopée des trois filles va enflammer la France en manque de nouvelles lors de cette période estivales, et leur permettre de réaliser la force de la sororité.

C’était cool à lire, sans surprise c’était féministe, les personnages sont réussis, le tout à une petite vibe contes de fées revisité (globalement les trois héroïnes vont au bal du roi, même si là c’est la garden-party de l’Élysée). Recommandé, notamment pour vos nièces et neveux au bon âge, mais aussi pour les adultes.

La Légende, de Philippe Vasset

Roman français paru en 2016. On suit un ancien moine défroqué, qui dirigeait le dicastère pour la cause des saints, l’organe du Vatican en charge de l’instruction des dossiers de béatification. En désaccord avec l’orientation très prosaïque donnée au travail du dicastère, lui rêve de saints flamboyants, d’histoires de repentir gigantesques, qu’il juge plus à même d’impressionner et d’inspirer les fidèles. Il va faire la rencontre d’une femme et peu à peu s’éloigner du dogme pour organiser un culte alternatif, en suivant l’exemple d’un moine du XXe siècle qui avait unilatéralement proclamé sainte une femme qui disait converser avec la Vierge sans aucune preuve ni miracle. Le récit principal est interrompu par des vies de « saints » moderne, comme Azyle qui taggue inlassablement son blaze sur les métros parisiens ou Urbain, mort sur des centaines de camps de migrants et enterré sur place, sanctuarisant le lieu par rapport aux pouvoirs publics qui n’osent plus y toucher.

J’ai beaucoup aimé, comme toujours avec Vasset. Son écriture sur le sacré profane, c’est exactement ma came. Je recommande.

Malevil, de Robert Merle

Roman post-apocalyptique français paru en 1972. En 77, une explosion nucléaire (de ce qu’en suppose les personnages, mais ce n’est jamais confirmé) dévaste la Terre. Dans un château fort du Périgord, une bande d’ami d’enfance a survécu, abrités par la cave du château et par la falaise surplombante (roman typiquement français, les personnages sont sauvés parce qu’ils sont allés embouteiller du vin). Peu à peu, ils vont organiser leur survie, reprendre des relations avec les quelques survivants du village voisin, discuter organisation spirituelle…

J’ai beaucoup aimé. C’est fort cool d’avoir un point de vue français et des années 70s sur le post-apo vu le revival actuel. Tout est loin d’être parfait dans ce roman (déjà, la place des femmes est désastreuse, même s’il y a des personnages féminins (la Menou) très réussis, ça sort quand même pas beaucoup de la dichotomie maman/putain) ; mais c’est une lecture prenante, selon un dispositif intéressant : le récit correspond à un texte laissé par Emmanuel, le leader de fait de la communauté de Malevil, qui relate sa jeunesse puis la vie après l’événement. De temps en temps, son récit est interrompu par des « notes » de Thomas, un autre personnage, qui a pris la tête de la communauté après la mort d’Emmanuel et amende le récit d’Emmanuel, qui mets sous le tapis certains points. Le thème de l’affrontement ou de la collaboration des pouvoirs spirituels et temporels et du dévoiement de ces pouvoirs (que ce soit les actions de Fulbert et Vilmain, adversaires extérieurs bien visibles), ou celui de Colin ou d’Emmanuel lui-même, qui prônent une démocratie qui est quand même bien alignée derrière leur leadership est bien mis en scène. Les tensions entre croyants et athée, militant au PC et traditionalistes, ruraux et urbains (et ceux qui parlent ou non le patois) fonctionnent bien aussi.

Je recommande.

Le Rapport de Brodeck, de Philippe Claudel

Roman français paru en 2007. Dans un village perdu en montagne, un crime a été commis, par l’ensemble des hommes du village. Brodeck est chargé d’en relater les circonstances, dans un rapport pour l’administration, pour expliquer les motivations des hommes. Mais en parallèle, il va rédiger un autre document, sa vision personnelle des choses à la fois sur le crime, sur les habitant.es du village et sur les événements qui ont agité le pays et sa vie. Parce que Brodeck occupe une place particulière dans le village. Rescapé enfant d’un pogrom où ses parents sont morts, il n’est pas originaire du village, il a été envoyé à la ville pour y avoir une éducation, et surtout, dénoncé aux occupants, il a vécu l’horreur dans un camp de concentration. Alors quand le village décide de tuer l’Anderer parce que sa différence est insupportable, Brodeck voit bien que c’est une fois de plus les mêmes vieux mécanismes qui sont à l’œuvre.

J’avais déjà lu l’adaptation en BD par Manu Larcenet, mais le livre est très bien aussi. Le style rend bien le petit village isolé et l’Europe sans aucun nom de pays ou de référence à des peuples ou événements mais qui est clairement la nôtre. Les descriptions sont très vivantes.

Je recommande, mais c’est tout sauf joyeux.

Les Rois maudits, de Maurice Druon

Fresque historique en 7 tomes, sur les intrigues politiques autour de la couronne de France à partir de Philippe Le Bel. On va suivre au travers du règne (souvent bref) de plusieurs rois les conséquences de plusieurs machinations politiques et prétentions à la couronne. Le roman prend pour point de départ la malédiction lancée par les derniers templiers au roi de France et à ses descendants, pour aboutir à la guerre de cent ans.

C’était très bien, ça se lit vite est c’est un vrai page-turner, bien écrit et prenant. Un petit bémol sur le tome 7, qui a été écrit bien après les autres, et ça se sent : le 6 finit par un épilogue après la mort d’un des personnages principaux, le 7 raconte la suite avec une narration différente (le récit d’un cardinal pendant un voyage) et avec un titre qui ne suit pas la même convention de nommage. Mais c’est un détail. Dans l’ensemble la série est très intéressante, réussit à rendre prenante une période que personnellement je connaissais très mal (bon par contre c’est clairement l’histoire via les grands hommes, mais ça permet aussi de l’incarner).

Article invité : Les méduses n’ont pas d’oreilles, d’Adèle Rosenfeld

Roman français de 2022.
Plongée dans l’expérience de Louise, jeune femme malentendante, qui subit soudainement une grosse perte d’audition supplémentaire et apprend qu’à moins de se faire poser un implant cochléaire, elle deviendra bientôt tout à fait sourde. Or, l’implant implique que la perception sonore est totalement modifiée, qu’on perd les « vrais » sons qu’on captait auparavant.
Alors qu’elle hésite entre les deux options, son quotidien (trouver un boulot avec son statut de travailleuse handicapée et gérer les interactions avec ses collègues, faire des rencontres amicales et amoureuses, jongler avec les rendez-vous médicaux) se peuple peu à peu de personnages, parfois rassurants parfois angoissants, qui semblent dire quelque chose de son rapport au langage et aux sons, et dont on ne sait pas très bien s’ils sont tout à fait imaginaires ou non.
C’est une lecture qui m’a décontenancée par son côté parfois décousu et imaginaire, et régulièrement angoissant, mais aussi emportée. Il faut lâcher sur l’envie de trouver des situations et des réactions rationnelles ou logiques (y compris quand Louise se retrouve, dans son boulot, en contact avec du public et qu’aucune adaptation ne semble être mise en place pour cela). L’autrice, elle-même malentendante et « implantée », travaille une écriture du son, de son absence et de sa perception, avec des dialogues absurdes, des descriptions de parties de visages ou d’expressions faciales, un « herbier sonore » très poétique que j’aurais bien voulu plus approfondi.
Recommandé.

Labyrinthes, de Frank Thilliez

Polar français paru en 2022, qui appartient à une trilogie composée du Manuscrit Inachevé et de Il était deux fois. Une femme a été retrouvée dans la forêt, à côté d’un cadavre au visage réduit en bouillie. Le psychiatre qui la suit va confier à l’enquêtrice comment sa patiente s’est retrouvée là, en détaillant l’histoire de trois femmes, la kidnappée, l’électrosensible et la journaliste. On va suivre en parallèle ces histoires et voir comment elles convergent.

J’ai bien aimé mais à force de lire Thilliez, certaines ficelles deviennent apparentes. Il aime bien jouer avec les amnésies, mais là le truc à la Mémento/Le Caméléon se voit un peu venir. Ca fait un polar sympa, mais en terme d’ambiance vraiment poisseuse je préférais ses premiers de la série des Sharko/Hennebelle.

Histoire du Fils, de Marie-Hélène Lafon

Roman français, prix Renaudot 2020. On suit la famille d’André Léoty sur plusieurs générations et des deux côtés : la vie d’André lui même, qui grandit à Figeac dans l’entre-deux-guerres, élevé par son oncle et sa tante, mais aussi la jeunesse de son père qui ignore l’existence de son fils, différents épisodes de la vie de sa mère montée à la capitale, la mort de son oncle paternel, le point de vue de ses enfants…

La question au cœur de la vie d’André, c’est sa relation à son père absent. Sa mère a décidé de qu’il n’y avait pas besoin de lui dans le paysage (et de ce que le roman nous en donne à voir, elle a raison), mais la question est visiblement une énigme pour André, un secret de famille. L’identité de ce père lui étant révélé à l’âge adulte, il effectue deux tentatives pour l’approcher, sans succès, et visiblement la question est passé à ses enfants. Ce qui me laisse perplexe personnellement, ça n’a pas du tout l’air d’être l’élément le plus intéressant de sa vie et il n’a pas manqué de figures paternelles par ailleurs, mais bon. J’ai préféré les différentes tranches de vies des membres de la famille racontées chapitre par chapitre à cette quête centrale.

Par ailleurs, ça se lit bien, mais j’ai trouvé le style un peu artificiel par moment, avec des adjectifs mis parce qu’il faut mettre des adjectifs, et des tournures ou mots surannés qui reviennent de façon un peu forcée.

Le Chœur des Femmes, de Martin Winckler

Roman médical de 2009. On suit Jean, interne en médecine qui doit – pour ses 6 derniers mois avant une prise de poste – intégrer un service de gynécologie. Ce qui ne lui convient pas du tout, Jean ne rêvant que de travailler dans un service de chirurgie des organes sexuels. Mais au contact de Franz Karma, le chef du service, Jean va revoir ses conceptions sur ce que signifie être docteur et être soignant…

J’ai beaucoup aimé la partie médecine et gynécologie, c’est bien mis en scène, c’est même un page turner assez inattendu. J’ai été beaucoup moins convaincu par l’histoire en arrière plan et les révélations sur le passé des personnages. Ça fait franchement soap et on voit tout venir de très très loin. Mais j’étais content de retrouver l’univers de Winckler – si j’ai lu La Maladie de Sachs il y a trop longtemps pour me souvenir de grand chose, ça m’a par contre pas mal réévoqué de souvenir des Trois Médecins, le côté saga au long cour est plaisant.

Je recommande.