Black Mirror x The Stanley Parable
Série télévisée produite par Apple TV, sortie en 2022. 20 minutes dans le futur, l’implantation d’une puce dans le cerveau permet de créer une nouvelle personnalité, consciente uniquement le temps de l’activation de la puce. Cette innovation est utilisée par Lumon, une entreprise mystérieuse et hégémonique, pour protéger les aspects confidentiels de ses opérations. La série suit les employés du département de Macro Data Refinement dans leur vie au cœur de Lumon, et l’un d’eux, Mark, dans sa vie privée.
J’ai beaucoup aimé, j’ai regardé toute la saison 1 en moins de 24h. Le rythme est un peu trop lent tbh, j’ai tout regardé en x1,6, mais à ce point près c’était très bien. La série est une allégorie pas très subtile mais efficace de l’aliénation au travail. Les personnalités qui ne sont activées que dans les locaux de l’entreprise- les innies – vivent perpétuellement sur leur lieu de travail : elles ressentent les effets sur leur physiologie de la vie de leurs outies, mais elle enchainent les journées de 8h sans percevoir l’extérieur ni le sommeil. L’entièreté de ce qu’elles connaissent leur est fourni par Lumon, qui les maintient ainsi dans une dépendance totale : pas de risque que les employés ne soient perturbés par leurs ressentis extérieurs ou qu’ils tentent de se syndiquer, quand ils ne connaissent rien d’autre que la Parole du fondateur de l’entreprise (et je mets une majuscule à Parole à dessein, parce que le fonctionnement interne de Lumon ressemble largement plus à celui d’une secte qu’à celui d’une entreprise). Si le monde extérieur à Lumon semble dans la série fonctionner selon les mêmes règles que le notre d’un point de vue des normes sociales et des grands enjeux, le monde interne de Lumon et donc l’entièreté de l’univers des innies semble largement plus perché : leur travail consiste à repérer les nombres « effrayants » sur des moniteurs qui affichent des rangées et des rangées de nombres. le système de valeurs, de récompenses, d’esthétique de Lumon semble sorti d’un manuel de management des années 70, avec des cocktails corporates à base de boules de melons ou d’œufs mimosa apportés sur des dessertes pour les quatre personnes du département de Macro Data Refinement qui ne se fréquentent qu’entre elles.
Par ailleurs, les pratiques de Lumon envers les innies sont très littéralement du fascisme : les innies n’existent qu’en relation à une superstructure omniprésente et omnipotente qui contrôle chaque aspect de leur existence. Les mots sont vidés de leur sens : la salle de punition des comportements déviants est renommée break room, il y a un sous entendu de violence toujours présent avec le chef de la sécurité, les déviations du protocole sont punies par une forme de torture mentale. Clairement on est au delà de l’aliénation « classique » par le travail ou même le néolibéralisme. Et pourtant même dans cette structure écrasante, les employés se révoltent, tentent de comprendre le sens global de ce qu’ils font et de ce qui leur est imposé, et tentent de s’échapper du système pour chercher une vie meilleure.
La série pose aussi la question de ce qu’est le soi et des questions éthiques afférentes à son McGuffin technologique : en acceptant la dissociation, les outies revendiquent de travailler sans s’en rappeler et potentiellement s’offrent un revenu sans avoir à subir les conséquences psychologiques du travail (enfin, ils perdent quand même 8h/jour + les temps de trajet, c’est pas rien), mais surtout ils créent un innie qui ne connaitra que le travail et n’a pas son mot à dire : si les innies peuvent poser leur démission, elle doit être acceptée par leur outie, qui s’il ne se considère pas la même personne, n’a aucun intérêt à le faire. La série est un peu dans la même veine que (les bons épisodes de) Black Mirror, qui explorent les conséquences sociales et morales d’une invention technologique.
Enfin, sur l’ambiance générale de la série, que ce soit l’environnement corporate mi-The Office mi-Stanley Parable de Lumon ou le monde extérieur, tout semble assez déprimant et aliénant : il y a peu de lumière ou alors des néons, il fait froid, tout est enneigé, les parkings sont immenses … Ca colle bien au propos mais c’est quand même pas mal déprimant. Les acteurs sont très bons dans leur rôles, les histoires de tous les personnages secondaires du département du héros sont attachantes et consistantes.
Globalement, bonne série, un peu lente mais beaucoup de bonnes idées, une esthétique réussi, des fils narratifs qui fonctionnent plutôt bien. La fin de la saison ne résout pas grand chose, on attend avec enthousiasme corporatiste la sortie de la S2. Je recommande.