Film états-unien de 2021. Bill Baker est un ouvrier de l’Oklahoma qui bosse sur des chantiers de constructions et des derricks. Périodiquement, il se rend à Marseille, rendre visite à sa fille Allison à la prison des Baumettes. Cette fois-ci, il va rester sur place, espérant pouvoir suivre le fil d’une piste qui permettrait d’innocenter sa fille. Sauf qu’on est dans un drame social et pas dans un thriller.
J’ai aimé le film et je conseille de le voir sans en savoir plus.
J’ai beaucoup aimé. Le film met en scène la rencontre d’univers qui habituellement dans la fiction restent compartimentés. Bill débarque en Europe depuis l’Amérique, mais c’est un États-unien pauvre, qui a la posture d’un immigré : il ne parle pas la langue, il fait des petits boulots, il n’a pas les codes sociaux. Il va rencontrer des locaux qui vont l’aider mais qui sont d’une classe différente de la sienne, avec largement plus de capital culturel : ils cooptent Bill en tant qu’Occidental qui voyage (et parce que ce sont les gens qui parlent anglais et peuvent donc communiquer avec lui), mais en même temps ils sont amusés/repoussés par les clichés de l’Amérique redneck qu’il charrie : on lui demande s’il a voté pour Trump, s’il a des armes à feu… Il y a ce côté très français d’attendre un positionnement politique de sa part, alors que lui s’en fout éperdument. Matt Damon joue d’ailleurs super bien le rôle de ce personnage hermétique, qui parle par phrases ultralaconiques, exprime très peu de sentiments, fait ce qu’il estime devoir faire sans rien demander à personne (et en se plantant donc dans les grandes largeurs). Globalement, c’est un personnage inadapté au monde qui l’entoure. Il a des valeurs, mais qui ne collent pas à la réalité du monde, et il le sait. Il tente de faire avec et ça peut marcher, il y a des situations où le monde et ses valeurs sont alignées mais il lui est impossible de réajuster ses valeurs quand ce n’est pas le cas (et c’est pas en mode « il a des valeurs et il s’y tient », c’est en mode « il fait de la merde et aggrave les situations, et il se voit faire de la merde sans pouvoir s’en empêcher »).
Le personnage d’Allison est très réussi aussi, elle a peu de temps d’écran mais l’histoire de Bill étant largement structurée autour d’elle, on a beaucoup d’aperçu de ce qu’elle est même sans qu’elle soit là. La relation entre les deux est très bien caractérisée à partir de peu d’éléments : Allison ne fait pas confiance à son père et a tout fait pour s’éloigner de son univers et de ses valeurs, mais en même temps c’est une des rares personnes qui est là pour elle.
La relation de Bill à Maya est réussie aussi, on comprend rapidement que c’est une seconde chance d’élever une fille sans répéter les erreurs de la première fois ; ce qu’il réussit… jusqu’à un certain point. Je suis moins convaincu par le personnage de Virginie qui a certains aspects intéressant mais qui semble moins profond : elle est surtout là pour apparaître comme un contraste et un médiateur pour Bill. Le bout de romance entre les deux m’a d’ailleurs semblé totalement superflu : même si sa mise en scène est plutôt réussie, il n’apporte strictement rien à l’histoire (à part une jolie scène d’échange de regards à trois).
Enfin, j’ai beaucoup aimé la conclusion, pas très joyeuse mais adaptée au film : Bill est plongé dans l’incertitude, tout ses repères lui ont été retirés et le fait d’avoir obtenu ce qu’il voulait lui a finalement tout coûté (mais de façon autrement plus intéressant que dans un film Marvel). La direction d’acteurs sur la dernière scène est très rigide, ce qui fait paraître les personnages artificiels : un bel écho de la pièce de théâtre de Virginie où « personne ne se tient comme des personnes réelles », avec son personnage qui cherche la raison et la vérité dans un placard où elle ne sont pas. Cette artificialité couplée avec la réflexion sur le fait que tout est pareil mais que tout semble différent m’a aussi fait penser à la conclusion des Murailles de Samaris.
Un drame social sur des personnages avec des valeurs inadaptées au monde qui les entoure, sur la rencontre de cultures et de classes sociales que tout séparait, et sur l’amoralité de la vie, mis en scène dans un Marseille très bien filmé, avec de très beaux plans sur les calanques, sur la Corniche, sur les quartiers urbains.
Je recommande grandement.