Comme l’année dernière, le bilan des lectures d’aaz.
Depuis le début de l’année 2020, je tiens à jour la liste des livres que je lis à mesure que je les finis. Cela avait été l’occasion (ou le prétexte) d’en faire une analyse rétrospective à la fin de l’année dernière, en les classant tous par ordre de préférence et en élaborant divers tableaux récapitulatifs.
À la fin de cette Année 2, la poursuite de cette entreprise me permet donc de refaire un nouveau bilan, mais avec plus de tableaux, plus de données, et le petit bonheur supplémentaire de pouvoir (attention, nouveauté) comparer les chiffres de cette année de lecture à ceux de la précédente.
Voici donc sans plus attendre les enseignements de ce qu’il apparaît désormais légitime de qualifier de tradition de Nouvel-An :
Une année de lectures 2.0
(Now With More Graphs)
Bon, ce n’est pas juste une question de chiffres.
Comme l’année dernière, en divisant la taille de chaque livre (en nombre de mots) par le nombre de jours passés à les lire, j’obtiens une approximation assez grossière du temps que j’ai consacré à la lecture. Je garde pour les vertus de la comparaison les mêmes restrictions arbitraires que l’an dernier : je ne note que les lectures de fiction hors BD / romans graphiques.
Pour ma part, l’année 2021 a été marquée par l’absence significative d’un confinement total « à la 2020 » avec deux mois entièrement consacrés aux loisirs, outre des changements en matière professionnelle. Tout ceci – et le décalage très net du curseur de la balance travail-loisirs – s’est traduit sans surprise par une baisse marquée de mon temps passé à lire, de l’ordre de 30 %, que l’on compte en nombre de livres (de 53 à 37) ou de mots lus.
Le détail semaine par semaine n’est pas plus surprenant et correspond à mon ressenti personnel, tout comme l’an passé, d’ailleurs. Mon « rythme » de lecture corrèle, au cas par cas, avec l’intérêt que j’avais pour chaque livre, mais aussi (voire surtout) avec mon niveau général de disponibilité d’esprit, d’énergie et de capacité à rester concentré (légende : un carré = un jour, une couleur plus foncée indique plus de temps de lecture).
C’est assez net quand je superpose sur le graphique les périodes qui étaient pour moi les plus intenses par ailleurs, ou quand je compare avec l’année 2020 :
L’aspect peut-être plus inattendu est que ce relâchement de fin d’année s’est aussi traduit par des lectures qui étaient plus souvent en anglais qu’en français, peut-être parce qu’il s’agissait de lectures « de genre » et plus « faciles ». Cela reste toutefois un peu contre-intuitif puisque je trouve que lire en anglais demeure pour moi toujours plus fatiguant que de lire en français. J’ai d’ailleurs l’impression, depuis plusieurs années, de m’être heurté à un mur en anglais et de ne plus vraiment progresser en familiarité ou en facilité de lecture, et ce malgré la pratique. Je commence à me faire une raison en me disant que rien ne peut égaler une langue maternelle, mais c’est tout de même assez frustrant.
Forcément, ce bilan en baisse m’invite à tout relativiser et à me rappeler qu’il est évidemment plus important de prendre du plaisir à lire que de se forcer à lire beaucoup. Ce n’a d’ailleurs pas toujours été évident cette année. C’est peut-être ici, là aussi, une question d’énergie mentale. J’ai eu à plusieurs reprises des moments de découragement et du mal à me motiver à finir des livres que je trouvais fades, ou à en choisir un nouveau à commencer parmi une pile à lire d’une taille pourtant raisonnable.
L’année 2021 a donc été la redécouverte qu’il n’est pas si facile de savoir quoi lire, et qu’il n’y a en tout cas pas de méthode systématique pour savoir ce qui distingue un bon livre pour soi d’un mauvais. Quelques considérations en vrac à propos de ce qui a marché ou non pour moi, avant une petite liste (parce qu’heureusement ils existent) de mes vrais plaisirs de lecture cette année écoulée.
Ce n’est pas vraiment une question de genre littéraire non plus, enfin juste un peu. Là encore ce n’est peut-être pas très surprenant, mais l’expérience a montré que le genre n’était pas un très bon prédicteur de l’intérêt que j’allais avoir pour un livre. Il y a certains genres que je préfère au sens où je constate sur les chiffres que j’en lis plus, comme la science-fiction, mais ça ne me fait évidemment pas aimer tout ce que je lis.
Ce n’est même pas une question d’auteur, sauf quand en fait si. C’est une autre tendance à la facilité quand on cherche un livre qui nous plaît, d’aller taper dans le catalogue d’un auteur que l’on connaît déjà. C’était le cas pour 46 % de mes lectures de l’année (ce qui me surprend un peu, c’est un chiffre que j’aurais spontanément sous-évalué). Comme plus haut, il y a une très légère corrélation positive avec mon plaisir de lecteur, mais qui est loin d’être systématique. C’est peut-être lié au fait qu’on lit en premier les livres les plus connus d’un écrivain avant d’aller éventuellement chercher ceux qui ont moins de mérite critique ? En tout cas je fais d’année en année le tri entre ceux qui ont fini par me décevoir après une première bonne expérience (dis-je en pensant avec tristesse à China Miéville) et les autres qui restent constant dans la création de trucs top (more on that later).
Est-ce que c’est la taille qui compte ? Dernière corrélation qui marche un peu mais pas tout le temps : le fait d’avoir aimé davantage les plus gros livres. Là aussi une raison sans doute assez simple : plus de pages, c’est plus de temps avec les personnages et plus d’investissement émotionnel. Pour ces gros livres, c’est en revanche un peu tout ou rien, puisque quand un livre est pas top, on aime mieux qu’il soit court. Un des effets pervers de mes mesures est que, comme je ne prends pas note des livres que je ne termine pas (les « DNF » comme disent les jeunes), j’ai peut-être eu tendance à m’interdire d’abandonner certaines lectures qui pourtant me tombaient des mains
Et donc? Finalement, ces chiffres qui ne m’apprennent rien de transcendant sur moi-même sont surtout une invitation à relativiser tout un tas de chose, à se rappeler que le plaisir de la lecture est sa propre fin, à ne pas se poser plus de questions que ça, et à simplement se demander, Marie Kondo style, quelle est la joie que l’on en retire. Est-ce que tout ça n’était donc pas un exercice un peu vain ? Ce serait oublier que remplir minutieusement des tableaux Excel, ça aussi, it does bring joy.
C’est maintenant le « top livres » (présenté, pour déjouer les attentes, sous forme de prix catégoriels et non de top 10).
Prix « Sortir de sa zone de confort »
J’avais initialement abordé ces deux livres avec circonspection en me disant que ça ne serait pas ma came. En fait ça l’était.
Âge tendre, de Clémentine Beauvais : un jeune garçon fait son stage de 3e dans une maison de retraite pour personnes âgées qui perdent la mémoire et à qui on fait croire qu’elles vivent dans les années 1960. Il découvre la vraie vie et Françoise Hardy. Je ne sais plus vraiment comment et pourquoi je m’étais dit que je n’allais pas aimer malgré les multiples et dithyrambiques recommandations qui le précédaient ; peut-être en le soupçonnant de mièvrerie ? Plot twist, j’étais idiot, c’était effectivement super, c’est drôle et ça fait pleurer sans être niais, et la forme – le rapport de stage rédigé par le narrateur – fonctionne vraiment très bien.
La billebaude, d’Henri Vincenot : les souvenirs romancés de l’enfance de l’auteur dans les années 1920, dans un petit village du Morvan, sa vie quotidienne et son folklore local. Il n’y a vraiment rien de plus que ça, mais le style et le rythme font qu’on ne s’ennuie jamais, que les différentes histoires s’enchaînent, et qu’on se prend malgré soi à se trouver une curiosité pour ce sujet, et à partager le sentiment de nostalgie du narrateur pour la vie paysanne disparue. Lecture de ce roman terroir faite lors de vacances in situ, ce qui a dû jouer.
Prix « Ne surtout pas sortir de sa zone de confort, on y est très confortable »
Deux ex æquo dans cette catégorie :
L’amie prodigieuse, d’Elena Ferrante, tomes 2 et 3 : j’ai poursuivi la lecture de la série d’Elena Ferrante, qui retrace en quatre tomes la vie d’une jeune fille née à Naples dans un milieu populaire dans les années 1950. Les deux volumes lus cette année sont ceux des 15 à 35 ans de la narratrice, en gros, et sont ceux de son apprentissage intellectuel puis de la vie académique pendant les années de plomb. Les grosses ficelles du livre marchent totalement sur moi, l’effet saga feuilletonnante, la traversée des époques, le duo récurrent de frenemies, etc. Je trouve tout de même à l’autrice un petit quelque chose en plus dans sa sensibilité à ses personnages, et principalement à la personnage principale, à laquelle on s’attache et s’identifie très facilement.
The Tawny Man Trilogy, de Robin Hobb : la troisième trilogie dans le monde de l’Assassin royal, après les deux premières lues en 2020. On retrouve les personnages de la première trilogie, qui avaient été mis un peu de côté durant la seconde, celle des Liveship Traders. On repasse donc à une fantasy un peu plus resserrée et centrée sur les deux personnages principaux, par opposition à la multiplicité des points de vue dans l’histoire des bateaux magiques. La grande force reste là encore la richesse des personnages, et les histoires de quêtes, de magie, de dragon, de barbares des iles passent presque au second plan. C’est toujours aussi bien et c’est pour l’instant ma trilogie préférée du cycle. Il me reste sept (gros) livres pour l’année qui vient, et ça me réjouit.
Prix « SF SF SF SF SF SF SF SF SF SF ! »
Au milieu de plusieurs relatives déceptions cette année, trois livres qui ont en commun de montrer la force et l’inventivité de la science-fiction actuelle.
Diaspora, de Greg Egan : dans le futur, les humains vivent tranquillement comme des immortels dans des mondes virtuels ou dans des corps de robots ou avec des génomes modifiées à l’excès. Un jour, un plot device se produit, rend la Terre inhabitable, et force l’humanité à aller explorer l’univers, qui contient plein de choses mystérieuses. C’est extrêmement dense en bonnes idées pour un livre qui n’est pas si long que ça. Et malgré quelques excès de jargon vers la fin, j’ai trouvé que l’auteur arrivait à pousser beaucoup de ses concepts à leur paroxysme sans que la lecture devienne jamais ardue ou désagréable. C’est un livre difficile à résumer ou à recommander avec brièveté, je me contenterai donc de dire que j’ai beaucoup aimé.
Gnomon, de Nick Harkaway : cette fois-ci dans un futur plus proche et dans une Angleterre marquée par une société de surveillance généralisée gérée par des intelligences artificielles. On suit une policière qui enquête sur un meurtre grâce à une technologie qui lui permet de revivre la mémoire de la morte. Il y a des mystères, des récits dans le récit dans le récit, des histoires parallèles avec des personnages complètement distincts. Si la structure volontairement complexe du livre rend la lecture parfois ardue, j’ai trouvé que l’effort en valait la peine. Il y a là aussi beaucoup d’inventivité et beaucoup de bonnes idées, mais avec une vraie unité thématique qui n’apparaît que progressivement mais qui est tout à fait bien menée.
Blindsight, de Peter Watts : un objet extraterrestre apparaît dans le système solaire, et l’humanité envoie à sa rencontre une délégation de cinq personnes avec chacune leur particularité (dont un vampire de l’espace) pour effectuer le premier contact. Ce qui différencie ce livre des nombreuses autres histoires de SF sur le même concept, c’est qu’ici l’extranéité des aliens a été poussée au maximum, et que ça donne lieu à un récit qui est nourri de plusieurs questionnements sur les concepts même du vivant ou de la communication, et même des réflexions sur ce que pourraient être les briques de base d’une biologie moléculaire alternative. Un bon roman de science-fiction doit se tenir sur ses deux jambes. S’agissant des deux précédents, Diaspora manquait à mon avis un peu de qualités littéraires ; et Gnomon, qui les avait, n’était peut-être pas assez « hard SF » à mon goût. Blindsight réussit de mon point de vue sur les deux tableaux, et je le recommande très très chaudement, c’est indéniablement ma lecture favorite de l’année.
Quelques accessits livrés en vrac :
- Never Let Me Go, de Kazuo Ishiguro
- East of Eden, de John Steinbeck,
- Piège pour Cendrillon, de Sébastien Japrisot,
- Hyperion, de Dan Simmons (relecture),
- The Lions of Al-Rassan, de Guy Gavriel Kay
- Prix « Sauvegarde et réhabilitation du recueil de nouvelles » :
- Le silence de la mer, de Vercors,
- Axiomatic, de Greg Egan,
- The Labours of Hercules, d’Agatha Christie.