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The Ethical Slut, de Janet W. Hardy et Dossie Easton

Essai sur les relations paru en 1997, j’ai lu la 3e édition, qui date de 2017.

J’ai à moitié recensé le bouquin, parce que tous les chapitres ne m’intéressaient pas au même niveau (l’étiquette à adopter durant les orgies par exemple, c’est pas immédiatement applicable à mon style de vie – mais sachez que faut pas placer les archiducs à une place inférieure à celle des archevêques, même si pour le reste la hiérarchie ecclésiastique à préséance sur la hiérarchique nobiliaire à rang égal – après c’est difficile de les distinguer sans les habits). C’était pas désagréable à lire mais le ton manuel de développement personnel c’est pas exactement ce que je recherche néanmoins. Mais bref, qu’y a-t-il à en retenir ?

Sortir de la culture des ressources limitées : l’amour n’est pas une ressource finie. On ne pense pas que les parents de deux enfants aiment chacun 50 % de ce qu’ils aimeraient un enfant unique. La même chose peut être vraie pour les partenaires romantiques. Cependant, le passé de chaque personne peut l’avoir menée à connaître des relations où leurs partenaires (ou parents) ont été manipulateurs, en ne dispensant leur amour qu’à petite dose. Ça peut mener à renforcer cette culture de la ressource limitée et à avoir beaucoup de mal à en sortir, vu que ça va être un gros acte de foi (lâcher un truc garanti de relation monogame où le cadre social pousse à recevoir toute l’attention de l’autre, pour la promesse qu’on aura toujours autant d’amour une fois ces garanties parties).

Le temps passable avec des gens est par contre une ressource limitée, donc il y a bien des limites physiques qui s’opposent à la multiplication des relations à l’infini : mais ça c’est une limite aussi pour les relations amicales et le taff, par ex.
L’espace est aussi un enjeu : avoir une chambre à soi (hello Virginia) ou des appartements séparés (ou des ressources financière permettant d’aller dans des bars et restaurant pour ses loisirs/louer des chambres d’hôtel) est aussi un gros avantage pour avoir des relations parallèles sans que ce soit pesant pour les différent.es partenaires.
Question aussi des attachements émotionnels aux objets (on laisse pas un partenaire toucher aux affaires des autres laissé.es chez soi sans le consentement préalable des propriétaires) : globalement il est important de faire attention à ce que les relations parallèles ne mènent pas à ce qu’une personne se sente lésée, mise de côté, accessoire. Ça demande plus d’attention aux autres.

Éléments importants pour des relations ouvertes/multiples fonctionnelles :

  • Communication, communication, communication. Écoute active et reformulation avant de répondre quand on écoute, prendre le temps de filer les infos et le contexte et être honnête sur les enjeux quand on parle.
  • Honnêteté émotionnelle. Même quand les émotions en question sont négatives, histoire que les gens sachent avec quoi ils doivent composer.Savoir demander et effectivement recevoir du support est important.
  • Affection spontanée. C’est le but des relations après tout, de donner et recevoir de l’affection. Si c’est pour rester sur sa réserve, pe pas une bonne idée de commencer une relation. Les formes de l’affection peuvent varier d’une personne à l’autre. Prise de temps et rituels spécifiques à chaque relation.
  • Savoir dire non. Connaître ses propres limites et savoir les imposer, ne pas juste être dans du people pleasing. Ça peut être des limites sur le type ou l’intensité de certaines relations, sur de l’expérimentation (sexuelle, affective, autre). Évidemment respecter celles des autres aussi, mais ça c’est la base de la base.
  • Planification. Pour le fun et pour le moins fun (logistique, conflits). Ne pas laisser les choses sous le tapis dans une relation, surtout pas sous prétexte d’aller faire des trucs dans le cadre d’une autre.
  • Owning your feelings. Jalousie, abandon, joie… c’est tout dans la tête, par définition. Ce sont des réponses à des situations extérieures, mais ces situations ne déclenchent pas automatiquement cette forme de réponse. Ça ne veut pas dire que ces sentiments ne sont pas réels pour autant, mais ce ne sont pas des choses qui nous sont extérieures et face auxquelles on est impuissant. Inversement, on n’est pas responsable des émotions des autres. On peut les aider à les ressentir ou à les surmonter, on peut ne pas reproduire certains de nos comportements qui y ont mené, mais on n’est pas responsable de l’émotion elle-même.
  • Se pardonner ses propres erreurs. Il y en aura. Ce sont des opportunités d’apprendre et de ne pas les reproduire.
  • Ne pas projeter (lié à l’écoute active – ne pas présupposer pourquoi les gens ont fait quelque chose, ne pas imaginer leurs comportements – positifs ou négatifs, mais les voir pour qui iels sont vraiment).

On peut se retrouver à jouer des rôles différents dans différentes relations, en fonction des différentes personnalités des personnes impliquées en face (très peu une surprise quand on a l’habitude d’avoir des cercles amicaux différents où ça apparait déjà). Il peut y avoir des limites et des interactions différentes selon les relations.

Gérer la jalousie : c’est ok d’être jaloux, mais pas d’agir en raison de cette jalousie. C’est ok de reconnaître qu’on est jaloux et de demander une réassurance, du soutien moral (pas que l’autre annule tous ses plans pour rester avec nous, mais qu’iel nous dise qu’iel nous aime).

Prendre le temps de discuter avec ses significant others/dates réguliers de ce qui va/ne va pas : nécessite de planifier des moments qui ne sont pas du whirlwind ou des grands gestures : dormir ensemble pour avoir des matins ensemble peut fonctionner. Prendre un café ou un repas ensemble aussi. Discuter à l’avance de manières de rassurer / toucher l’autre : quelles preuves d’affection fonctionnent bien pour ellui ? (ça peut être faire une liste de 5 items de chaque côté, qu’on s’échange). Marche aussi pour soi-même : prendre le temps de lister des comportements qu’on peut mettre en œuvre pour nous-même quand on est bouleversé et isolé (emergency chocolate, s’acheter des fleurs, une douche chaude, danser sur une chanson spécifique…)

Conflits : vont arriver. Le but n’est pas d’éviter les conflits, mais de savoir les gérer d’une façon qui fait que personne ne se sent lésé. Idéalement, planifier un temps à l’avance pour un conflit plutôt que de le laisser pourrir puis exploser. S’autoriser des time outs dans les conflits, avec un safe word (« time out » fonctionne bien). Principes de communication non-violente (CNV) : pendant les conflits on parle en « je », on reformule ce qu’a dit l’autre, on laisse du temps à l’expression des sentiments avant d’arriver à une phase solutions.

Négocier des accords : vu que pas de règles implicites pour les relations ouvertes, faut négocier les conditions. Prévoir un contrat a priori couvrant tous les cas est illusoire. Quand un désaccord arrive, il faut en parler, et négocier comment on le gérera la fois suivante. Pour définir des accords relationnels, il faut que les gens impliqués (et c’est souvent pas que 2 personnes dans le cas d’une polyrelation) consentent de façon éclairée (infos sur ce qu’implique la situation, pas de loopholes pour ne violer que l’esprit de l’agrément), faire au max des définitions claires des attentes. Les accords basés sur des interdits sont les plus classiques initialement (tu ne restes pas la nuit entière chez qq d’autre, tu ne vois pas d’autres personnes + d’une fois/mois, tu ne vois pas la même personnes plusieurs fois, …), mais d’après les autrices, les accords les plus intéressants sont ceux avec des conditions positives (on se réserve un weekend pour nous tous les mois, tu me dis que tu m’aimes fréquemment…). Les accords n’ont pas besoin d’être symétriques, tout le monde n’a pas les mêmes besoins.

Encadré sur la résolution de conflit :

  • Prendre le temps de laisser retomber la colère avant de gérer le pb
  • Sélectionner un point unique sur lequel travailler
  • Prendre rdv pour en parler
  • Trois minutes de parole chacun.e, avec les règles de la CNV, un peu de temps entre les tours de paroles pour ne pas être juste dans la réaction à ce qui a été dit mais prendre le temps de formuler et de respecter les règles de la CNV
  • Brainstormer des solutions, mêmes des idiotes
  • Éditer la liste pour garder que celles acceptables pour les deux parties
  • Choisir une solution à tester sur une période donnée
  • Évaluer l’efficacité de la solution au bout de la période
  • Réitérer certaines étapes si besoin

Autre exercice sur la résolution de conflit : discuter de sujets sur lesquels on sait qu’il y a désaccord, mais n’y consacrer que 20 minutes, ce sera pas résolu à la fin mais il faut réussir à repasser en mode non-conflictuel.

Le fait de tenter de trouver la relation idéale pour remplir la case précise qu’on a en tête comme type de relation là maintenant est sans doute illusoire. Accepter de commencer des trucs avec des personnes et définir au fur et à mesure où ça va – en prenant le temps de bien communiquer, et en étant clair sur si le statut de la relation évolue à nos yeux, envers cette personne et envers nos autres partenaires, semble plus malin.

Les débuts de relations et les crushs sont toujours cools et énergisants (« new relationship energy« ), on met en avant la meilleure image de nous-même, et ça peut être chouette d’avoir ce genre de relation pour cette raison précise, mais ne pas perdre de vue que ça ne remplace pas l’intimité profonde d’une relation de long terme – et que c’est une phase qui ne dure pas éternellement : aller de début de relation en début de relation peut être gratifiant, mais abandonner toutes relations longues pour des débuts sans cesse renouvelés peut être lâcher la proie pour l’ombre.

Post-romantique, d’Aline Laurent-Mayard

Essai sur les relations interpersonnelles, paru en 2024. Aline Laurent-Mayard (ALM) analyse la façon dont les relations romantiques (et parmi elles, le modèle du couple exclusif, avec des points bonus s’il est hétéropatriarcal et cohabitant) a été érigé en relation suprême dans les sociétés occidentales, celle qui donne un sens à la vie et à laquelle chacun.e doit aspirer. En plus d’un matraquage culturel sur l’importance de ce type de relations, elle vient (dans la société française mais aussi dans bcp d’autres) assortie d’avantages financiers énormes : économies d’échelles sur ~tout, mise en commun des impôts à payer, pension de réversion, diminution des frais de succession, accès à la mutuelle de son conjoint… Ce sont des avantages par rapport aux célibataires, mais aussi par rapport aux relations non-romantiques : on ne peut pas nommer son/sa meilleur·e ami·e héritièr·e avec les mêmes abattements de frais par exemple.

Si le sentiment amoureux existe depuis très longtemps[citation needed], sa valorisation par la société est beaucoup plus récente : étymologiquement le « romantisme » désignait d’abord ce qui avait trait aux romans médiévaux, ie des intrigues échevelées. Ca devient progressivement ce qui rappelle la poésie et l’intensité des sentiments romanesques dans le monde réel, dont le sentiment amoureux. C’est avec les Lumières et la valorisation de l’individualité que la passion amoureuse devient quelque chose de positif plutôt qu’une passion violente qui menace l’ordre social. A l’époque contemporaine, l’amour romantique a en partie pris la place des religions organisées : vu comme une source de salut et de réalisation personnelle, célébré publiquement, bénéficie de rituels reconnus.

De nombreuses failles du couple romantique hétéropatriarcal exclusif et cohabitant ont été soulevées par la littérature féministe et des patchs proposés (Réinventer l’amour, Le Cœur sur la table et al.), mais pour ALM ces patchs ne peuvent être une solution à eux-seuls ; la centralité des relations romantiques doit être repensée(et de plus la déconstruction du couple hétéro devient le plus souvent une charge mentale de plus pour les femmes si on reste dans ce système). Il y a aussi un problème plus général lié à la place laissée dans nos vies par le capitalisme et le travail (qui prônent un modèle d’individus indépendants prêts à faire passer leur carrière avant tout) à la construction de relations sociales (elproblemaeselcapitalismo.jpg).

Les attirances romantiques sont tellement valorisées qu’elle effacent les autres attirances : blagues sur les bromances, difficulté à distinguer attirance romantique/sexuelle/amicale dans le cas de nouvelles rencontres où toutes les configurations seraient possibles. En soi les catégories amour romantique/amitié ne sont pas si distinctes, et décréter que c’est l’un ou l’autre est souvent performatif : les rituels mis en place, le regard des autres, notre perception de ce qui est attendu d’un type ou l’autre de relation vont grandement contribuer à cimenter la relation dans une des deux configurations.

L’autrice élabore sur deux grandes catégories de liens amoureux non-romantiques :

  • Liens familiaux : parents/enfants, adelphes, familles choisies. Ces dernières peuvent être des familles totalement recomposées (grotas, famillles choisies queers, …) ou s’interfacer avec des familles légales (lien perso à la famille de T. par ex).
  • Liens amicaux, avec un focus sur les configurations qui vont plus loin que l’amitié « classique » où on garde un peu ses distances : vacances systématiques ensembles, vie ensemble (colocation ou visites journalières), élever des enfants collectivement (mais je vois plus trop la différence avec les familles choisies plus on s’enfonce dans cette catégorie). Pour les hommes, enjeu de dépasser l’amitié « superficielle » (cf Billy No-Mates) où on traine ensemble sans jamais aborder de sujets de fond.

De la même façon qu’il n’y a pas d’amour mais juste des preuves d’amour, il n’y a pas d’amitié mais juste des preuves d’amitié (incise perso : la troisième proposition dans cette série c’est qu’il n’y a jamais de révolution achevée mais juste un processus révolutionnaire toujours à renouveler). Y’a une version anglaise : Friendship is showing up. La question de ce niveau d’investissement dans la relation peut servir à distinguer les amitiés des relations parasociales qu’on aime juste bien retrouver au bar (mais ce n’est pas pour dire que les amitiés intenses c’est bien et retrouver des gens au bar c’est superficiel : on peut apprécier les deux, juste ça n’apporte pas les mêmes choses).

L’amitié bénéficie – comme l’amour – de la mise en place de rituels pour se solidifier : grotassemblements réitérés, groël, activités partagées récurrentes (cours de pilates ou d’escalade, conversation du mardi soir, …). La question de discuter des attentes et limites de la relation est aussi quelque chose de faisable dans le cadre d’une relation amicale : est-ce qu’on apprécie que l’autre passe à l’improviste ? Parle en détail de ses problèmes psys (ou en parle à un moment spécifique, on n’a pas toujours la bande passante pour).

ALM détaille des cas de mise en exergue d’amitiés par des labels spécifiques : Queer platonic relationship, platonic life partner. Sert aux personnes à montrer que c’est une relation plus intense que ce qu’on entend par le très générique « ami·e ».

Sur le côté relations romantiques, ALM énumère différentes modalités de sortie du couple romantique hétéropatriarcal exclusif et cohabitant (dernière fois que je l’écris !) : décohabitation, relations non-exclusives, polyamour… Plus généralement, avoir des relations romantiques qui ne soient pas la relation la plus importante de notre vie sociale ou qui ne soient pas une cellule isolée qui vit en vase clos. Enfin, elle aborde les modalités d’éducation d’enfants en dehors de ce modèle : coparentalité (deux parents dans une relation non-romantique), alloparentalité (des figures de références dans la vie de l’enfant qui n’ont pas le statut de parent : oncles et tantes, marraines et parrains, beaux-parents, autres statuts…). La coparentalité subie est fréquente dans les relations hétéropatriarcales après un divorce, la coparentalité choisie est un mode plus fréquent dans les milieux queers.

En conclusion essai intéressant qui explore pas mal de thèmes que j’ai envie de creuser en ce moment, je recommande !

Nos puissantes amitiés, d’Alice Raybaud

Essai paru en 2024, sur les liens d’amitié et la place qui leur est donné dans nos sociétés occidentales modernes. Ca souffre d’un défaut qui est celui de l’« essai de journaliste » : par rapport à des essais de chercheureuses, c’est beaucoup moins fouillé, ça présente des éléments intéressant mais j’ai tout le temps envie que ça aille plus loin. Et par ailleurs la maison d’édition a mal fait son travail, il y a des coquilles dans le texte, ce qui sort de la lecture.

Ces éléments posés, quid ? Le livre se divise en 8 chapitres, qui traitent respectivement de l’Histoire de l’amitié, des amitiés genrées (entre hommes, entre femmes, entre les deux genres principaux), de récupérer des dispositifs pensés pour les couples pour des relations amicales (PACS, cohabitation), d’avoir (ou d’éduquer) des enfants entre ami.es, des amitiés queer, de liens entre militantisme et amitié, de travail/production dans des groupes amicaux (plutôt que dans du salariat classique) et de la vieillesse (avec l’exemple de la maison des Babayagas).

L’ouvrage évoque les soutiens mutuels que peuvent d’apporter des amie.es, la notion de non-exclusivité des amitiés (et le fait que ça n’empêche pas une possible jalousie), le fait qu’au contraire de la relation romantique souvent avec l’amitié on ne met pas « tous ses œufs dans le même panier », ie on ne demande pas à une seule personne d’être à la fois un.e confident.e, un.e partenaire sexuel.le, un.e coparent.e, un soutien psy… Il parle aussi de l’intérêt (et des risques) de mêler militantisme et amitié (avec l’exemple des luttes féministes, mais c’est probablement transposable). Il montre bien que la relation romantique (et la filiation) est la seule envisagée dans les dispositifs légaux d’entérinement des unions entre personnes. Dans la vision du monde c’est pas mal le cas aussi (le couple comme « relation prioritaire » sur les amitiés), mais moins que dans la loi quand même.

Intéressant, mais mériterait d’être encore approfondi comme sujet.

Billy No-Mates, de Max Dickins

Essai paru en 2022. Alors qu’il envisage de demander en mariage sa partenaire, l’auteur réalise qu’il ne sait absolument pas qui prendre comme garçon d’honneur. Il réalise qu’il n’a pas vraiment parmi les personnes qu’il fréquente d’hommes dont il se sent vraiment proche. Il va alors partir dans une quête pour redécouvrir le vrai sens de l’amitié et réaliser que les vrais amis sont le trésor qu’on s’est fait le long du chemin. Wait. Non.

Globalement c’est un essai où l’auteur discute de ce qu’est l’amitié, notamment l’amitié entre hommes et la difficulté de se faire des ami.es à l’âge adulte et quand on a été éduqué pour être émotionnellement distant. C’est très scénarisé avec le fil rouge de la quête du garçon d’honneur et beaucoup de blagues (l’auteur a été stand-uppeur). C’est par moment un peu agaçant, et je pense que le livre aurait bénéficié de peut-être un peu plus d’apport de la théorie féministe (même si c’est loin d’être un livre masculiniste, j’ai quand même un peu tiqué sur la citation sans remise en contexte de Jordan Peterson, masculiniste connu) et plus généralement parle uniquement des mecs cis blancs des pays occidentaux sans trop le préciser (mais je suis dans cette démographie donc ça m’allait bien), mais ça parle de plein de sujets intéressants.

J’en retiens notamment les éléments sur la sociabilisation face à face (on se parle) vs côte à côte (on fait des trucs ensembles) qui se corrèle bien avec le genre (et je me reconnais fort dans la seconde). Y’a toujours un caveat dans ce genre d’affirmation qu’il ne faut à la fois pas les essentialiser (c’est de l’éducation, pas de la génétique) et pas les généraliser (pas toutes les personnes s’identifiant comme hommes ne correspondent à cette sociabilisation, pas toutes les personnes s’identifiant comme femmes dans la sociabilisation face à face), ce que l’auteur fait plutôt bien en rappelant notamment que les amitiés masculines peuvent prendre d’autres formes selon les pays et les époques. Mais un pattern répandu pour les hommes (cis, je suppose) des pays occidentaux est que la forme de leur sociabilisation passe par le partage d’activités, et le plus souvent en groupe plutôt qu’en bilatéral. C’est une configuration qui incite moins de base à parler de ses émotions, mais c’est la configuration qui fonctionne pour eux et qui peut mener à les partager à terme. Le passage sur le fait qu’une conversation téléphonique n’améliore pas la qualité d’une relation amicale entre hommes cis (alors que ça fonctionne chez les femmes cis) et que ces conversations vont donc avoir tendance à se focaliser sur le fonctionnel résonne aussi pas mal.

Partant de là, le hack des « men’s shed » me semble assez bien pensé : globalement, ce sont des espaces qui proposent des activités (réparation d’objets, jardinage, autre), ce qui va sembler une façon acceptable de sociabiliser aux hommes, et les pousser à sortir de leur isolement (là où proposer un pur espace de discussion, voire pire, dire « il semble que vous avez un problème d’isolation » ne fonctionne pas (vrai bonhomme n’a pas de problème et est autonome).

La partie sur la répartition des relations sociales (petit cercle de personnes très proches d’environ 5 personnes, puis un cercle de 15, de 45 et de 140) et le fait que les gens se retrouvent à un niveau ou un autre selon le temps que l’on consacre à notre relation avec elleux est aussi super intéressant : le temps étant une ressource finie, faire apparaître de nouvelles relations en fait disparaître d’autres (sauf si on arrive à compresser du temps solo passé à regarder des séries ou lire, mais ça peut rapidement être incompressible).

L’auteur discute aussi le manque de script sociaux pour la sociabilisation amicale : les relations romantiques et familiales bénéficient de cérémonials, de tonnes d’exemples dans la culture, l’amitié beaucoup moins. Du coup c’est souvent l’amitié qui est sacrifiée aux autres relations parce que considérée comme moins importante, et qui a plus de mal à se remettre sur pied parce qu’il n’y a pas de façon canonique de relancer les choses. Pour les hommes, c’est encore compliqué par le fait que dans nos sociétés, être occupé est valorisé, donc on a X trucs à faire en //, on n’a pas le temps de venir aux événements amicaux, encore moins de les organiser, et du coup les gens s’éloignent progressivement. En plus, le mode relationnel masculin majoritaire est la compétition et l’ironie : ça n’aide pas pour la partie discussion des sentiments (mais tbh je sais pas si c’est l’auteur ou l’Angleterre en général le problème, mais j’ai l’impression que le problème est quand même largement moins pire pour moi que la situation qu’il décrit).

Bref, qu’en retiens-je ? Les amitiés demandent du temps à y consacrer, et idéalement pour moi, du temps en présentiel et autour d’une activité. Pour kickstarter de nouvelles amitiés masculine, la recette magique est de commencer par une activité partagée (l’auteur parle des chorales parce que c’est une des rares activités masculines non-compétitives, mais je pense que de mon côté ça va être réinscription dans un club d’escalade). Loin des yeux loin du cœur s’applique bien, mais le fait de prendre du temps pour entretenir les amitiés en prenant le temps de prendre des nouvelles et d’organiser des activités fonctionne tout aussi bien pour les remettre sur pied.

Je recommande la lecture.