Planètes, de Gorō Taniguchi

Adaptation en animé du manga éponyme de Makoto Yukimura. J’avais lu le manga ado, j’avais les DVDs des premiers épisodes depuis très longtemps, le second confinement a été l’occasion de s’y mettre. En 26 épisodes de 20 minutes, on suit le quotidien de la section Débris, une équipe d’éboueurs de l’espace dans les années 2070. L’histoire tourne principalement autour de deux membres de cette section, Tanabe, jeune novice idéaliste, et Hakimachi, un éboueur plus âgé qui a toujours rêvé de posséder son propre vaisseau et de participer à la conquête spatiale.

C’est très cool. L’univers montre une version relativement réaliste de l’exploration spatiale. Passée l’ère des premières fois épiques, l’espace est devenue une ressource comme une autre, exploitée par des firmes multinationales qui ont assez de capitaux pour se lancer dans des projets très coûteux mais très rentables. Le fait de centrer le point de vue sur la section Débris est très bien pensé : sans ce travail de récupération des déchets et débris, les voyages dans l’orbite terrestre serait impossible. Pour autant c’est un job sans prestige, les pilotes de navette sont ceux qui font rêver, pas les éboueurs. La Technora ne garde une section Débris, sous-financée et sous-staffée, que parce qu’elle reçoit des subventions de la Fédération (l’alliance des pays riches) pour ce faire. La géopolitique de l’univers est très réussie aussi : l’exploitation spatiale profite aux transnationales et aux pays riches, et un mouvement terroriste conteste la dépense énorme de ressources qu’engendrent les projets spatiaux et qui pourraient êtres alloués à la réduction des inégalités sur Terre. La série réussit très bien à balancer ces facteurs réalistes avec le pouvoir d’attraction que les mots « exploration spatiale » peuvent avoir. Elle montre aussi les risques pour la santé de la vie en dehors de la Terre, que ce soit les multiples accidents ou plus insidieusement les cancers liés aux radiations non-filtrées par l’atmosphère.

Concernant les personnages principaux, on a une focalisation d’abord sur le personnage de Tanabe, qui découvre cet univers, permettant de filer les clefs de compréhension aux spectateurs. Mais rapidement on comprend que le vrai héros de l’histoire est Hakimachi, prêt à sacrifier énormément de choses à sa passion de l’espace. Si Tanabe fait pas mal avancer l’histoire et est beaucoup mise en lumière, on est quand même sur une répartition très classique des rôles genrés dans ce couple de personnage, avec le mec taiseux qui veut être indépendant et aller explorer, et une fille idéaliste qui va apprendre à son contact mais lui faire découvrir la puissance de l’amour. De ce point de vue les personnages secondaires sont cependant plus réussis, notamment Fay Carmichael, la pilote de la section Débris colérique et prête à tout pour fumer tranquillement ses clopes. Tous les fils narratifs secondaires permettent de bien développer ces personnages et l’univers dans lequel ils évoluent.

Je recommande.

Comme un empire dans un empire, d’Alice Zeniter

L’histoire croisé d’un assistant parlementaire un peu veule et d’une hackeuse qui plonge dans la paranoïa suite à l’arrestation de son compagnon.

Le livre revient sur les actions des Anonymous, sur la captation de l’image des hackers par des firmes d’infosec, sur le harcèlement et flicage numérique des femmes par des hommes violents, et sur l’impact du mouvement des Gilets jaunes et de l’élection de Macron sur la vie politique française.

Je n’ai pas pas été transporté, l’écriture sonne un peu articificielle. La ligne narrative d’Antoine souffre de la comparaison avec La Tannerie, qui traite mieux des sujets similaires ; celle de L fait très « les hackeurs racontés par qq qui ne connait pas le milieu » – même si la description est correctement documentée, on sent l’extériorité. Le passage que j’ai préféré est probablement la fin à la Vieille Ferme, mais c’est court.

J’avais largement préféré le précédent roman de l’autrice, L’Art de Perdre.

La Porte des Mondes, de Robert Silverberg

Uchronie écrite en 1967. Un jeune anglais, Dan Beauchamp, quitte son pays récemment indépendant et appauvri, et part tenter sa chance dans les Nouvelles-Hespérides, où les empires Incas et Aztèques sont les puissances dominantes du monde. Il vivra plusieurs aventures à travers l’empire Aztèque, ses colonies et les territoires indépendants des Hespérides du Nord, avant de finalement embarquer pour l’Afrique, le continent prédit comme le prochain centre de pouvoir.

C’était sympa à lire. C’est un roman d’aventures assez classique dans sa facture, assez court, qui parle de colonialisme et de contingence de l’histoire. Le héros est un peu naïf, il a des rêves de grandeur et de conquête qui résistent mal au contact du réel. Pas beaucoup de personnages féminins, mais celui qui est développé est réussi et indépendant (et est assez affligé par les rêves de conquête du héros).

Une lecture courte mais efficace, qui réussit à bien développer son contexte uchronique pour y placer une aventure très classique mais plaisante à lire.

J’ai aussi lu récemment Hors Sol de Pierre Alféri et The Beautiful Land d’Alan Averill, mais les deux n’étaient pas très bien du coup je ne vais pas prendre le temps de les chroniquer. Dans les deux cas c’était de la SF, mais ça manquait de profondeur et de style d’écriture.

The Starless Sea, d’Erin Morgenstern

Si par une nuit d’hiver un voyageur X The End X Neverwhere X …

Zachary est un étudiant en train de rédiger son mémoire de master sur la narration dans les jeux vidéos. Il profite de la période avant la reprise des cours en janvier pour emprunter à la chaîne des romans dans la bibliothèque universitaire. C’est comme ça qu’il tombe sur un roman sans mention d’un auteur, qui semble une collection de nouvelles à tonalité fantastique, dont une qui décrit avec des détails précis une expérience qu’il a eu enfant. Il se met en quête de plus d’informations sur le livre, et découvre rapidement une société secrète et un univers parallèle constitué d’une mer souterraine et d’un havre qui la borde, qui contient une quantité gigantesque de récits archivés sous d’innombrables formes, mais désormais quasi désert.

C’était assez cool. Au début j’étais un peu sceptique sur le fond. Autant il y a vraiment toutes les références pour me séduire, autant l’histoire commence de façon très classique avec des personnages assez archétypaux de ce genre de récits, dont on pénètre assez peu la psychologie. Mais on est sur une histoire à propos d’histoires et avec des protagonistes genre-savvy, du coup après un certain temps ça devient plus méta. Plusieurs récits enchâssés se rejoignent, plein d’éléments sont volontairement laissés obscurs et peuvent s’interpréter de plusieurs façons, le rôle des personnages se brouille.

C’est très dense en idées et en symboles, ça fait ~600 pages que j’ai lu quelques jours, ce qui montre le potentiel d’accroche. Après le côté psychologie et motivation profonde des personnages reste léger, mais c’est du worldbuilding perpétuel avec une bonne couche de méta.

Soul, des studios Pixar

L’anti-Whiplash.

Joe Garner est un pianiste de jazz. Enfin, il voudrait l’être, il est surtout prof de musique dans un lycée de New York. Pour des raisons que je ne spoile pas, il décroche l’occasion de sa vie, mais ne pourra s’y rendre que s’il réussit à coopérer avec un sidekick surnaturel qui découvre la vie sur Terre et ce qu’est une existence humaine.

C’était très beau, surtout les séquences sur Terre, il y a quelques plans d’ensemble dont on a l’impression qu’ils sont là pour dire « oui, on peut faire ça en animation », mais ça marche super bien. Point de vue esthétique, j’ai été moins enthousiasmé par les séquences extraterrestres. J’aime beaucoup l’idée du design des Jerrys, mais le reste de l’environnement était peu varié en terme de couleurs (c’est probablement pour contraster avec les séquences terrestres, mais du coup elles en souffrent défavorablement).

Du point de vue intrigue, c’est un peu le même distinguo : tout ce qui se passe sur Terre est cool, la vie quotidienne de Garner et comment la présence et le regard de 22 lui font reconsidérer les choses est très bien fait. C’est pas forcément super original, mais ça marche, c’est bien mis en scène, c’est porté par une super bande-son. On a des séquences dans le milieu du jazz, qui se penchent sur les questions de passion et d’obsession, on a un fil thématique sur l’enseignement et la transmission : ce sont des thèmes qui étaient présents dans Whiplash mais là on a des professeurs bienveillants et une passion qui n’est jamais en lien avec l’idée de compétition. Un même sujet, traité totalement différemment.

L’intrigue métaphysique qui justifie la présence de 22 par contre, ça aurait pu être n’importe quelle autre raison, on s’en fiche un peu tbh, pourtant ça prend une part importante du film, ça aurait pu être expédié plus rapidement.
Niveau humour c’était globalement réussi tout du long, je suis bon client de ce type d’humour je pense mais les situations sont bien amenées.

Globalement un bon film, impressionnant du point de vue technique, avec quelques séquences un peu trop longues mais une belle histoire. On est un peu dans l’inverse d’Inside Out pour l’intérêt des séquences réalistes/métaphysiques.

Shady Part of Me, des studios Douze Dixièmes.

Puzzle game indépendant sorti fin 2020. On joue simultanément une petite fille timide et son ombre : la fille ne supporte pas la lumière, l’ombre ne se déplace qu’en 2D sur les murs et sols, et dans les zones illuminées seulement.

Le jeu a une belle direction artistique avec des décors qui ont une texture faite à l’aquarelle, et des environnements oniriques très beaux (j’ai beaucoup aimé le passage dans la nurserie, et celui dans la librairie, même s’il le second est assez court).

La mécanique de jeu est assez cool : l’ombre se déplaçant dans un environnement d’ombres projetées, déplacer en 3D les éléments permet de modifier l’environnement ombresque : on peut ainsi rapprocher des éléments de source de lumière pour les rendre plus gros, allumer de nouvelles lumières pour faire disparaitre des obstacles, projeter l’ombre d’un même objet avec plusieurs sources lumineuses… A l’inverse, l’ombre peut activer des ombres de leviers, où se placer devant des capteurs photo sensibles, ce qui modifie le monde 3D. Cette influence est quand même plus légère que dans l’autre sens (c’est peut-être le point que je reprocherai au jeu : dans beaucoup de séquences, le monde 3D est fortement contraint, s’apparentant plus à la 2,5D de Trine qu’à de la 3D ; mais je ne sais pas s’il y avait vraiment une possibilité de faire plus de la 3D avec le besoin de garder l’ombre pas trop loin pour que les deux persos puissent interagir et le/la joueur avoir une vue d’ensemble).

Globalement, très beau jeu esthétiquement, aussi bien le concept des décors que le rendu. La mécanique est intéressante, certaines énigmes auraient pu être plus corsées (là le niveau est assez tranquille tout du long), mais rien de rédhibitoire. Un premier jeu prometteur.