Essai sur les relations interpersonnelles, paru en 2024. Aline Laurent-Mayard (ALM) analyse la façon dont les relations romantiques (et parmi elles, le modèle du couple exclusif, avec des points bonus s’il est hétéropatriarcal et cohabitant) a été érigé en relation suprême dans les sociétés occidentales, celle qui donne un sens à la vie et à laquelle chacun.e doit aspirer. En plus d’un matraquage culturel sur l’importance de ce type de relations, elle vient (dans la société française mais aussi dans bcp d’autres) assortie d’avantages financiers énormes : économies d’échelles sur ~tout, mise en commun des impôts à payer, pension de réversion, diminution des frais de succession, accès à la mutuelle de son conjoint… Ce sont des avantages par rapport aux célibataires, mais aussi par rapport aux relations non-romantiques : on ne peut pas nommer son/sa meilleur·e ami·e héritièr·e avec les mêmes abattements de frais par exemple.
Si le sentiment amoureux existe depuis très longtemps[citation needed], sa valorisation par la société est beaucoup plus récente : étymologiquement le « romantisme » désignait d’abord ce qui avait trait aux romans médiévaux, ie des intrigues échevelées. Ca devient progressivement ce qui rappelle la poésie et l’intensité des sentiments romanesques dans le monde réel, dont le sentiment amoureux. C’est avec les Lumières et la valorisation de l’individualité que la passion amoureuse devient quelque chose de positif plutôt qu’une passion violente qui menace l’ordre social. A l’époque contemporaine, l’amour romantique a en partie pris la place des religions organisées : vu comme une source de salut et de réalisation personnelle, célébré publiquement, bénéficie de rituels reconnus.
De nombreuses failles du couple romantique hétéropatriarcal exclusif et cohabitant ont été soulevées par la littérature féministe et des patchs proposés (Réinventer l’amour, Le Cœur sur la table et al.), mais pour ALM ces patchs ne peuvent être une solution à eux-seuls ; la centralité des relations romantiques doit être repensée(et de plus la déconstruction du couple hétéro devient le plus souvent une charge mentale de plus pour les femmes si on reste dans ce système). Il y a aussi un problème plus général lié à la place laissée dans nos vies par le capitalisme et le travail (qui prônent un modèle d’individus indépendants prêts à faire passer leur carrière avant tout) à la construction de relations sociales (elproblemaeselcapitalismo.jpg).
Les attirances romantiques sont tellement valorisées qu’elle effacent les autres attirances : blagues sur les bromances, difficulté à distinguer attirance romantique/sexuelle/amicale dans le cas de nouvelles rencontres où toutes les configurations seraient possibles. En soi les catégories amour romantique/amitié ne sont pas si distinctes, et décréter que c’est l’un ou l’autre est souvent performatif : les rituels mis en place, le regard des autres, notre perception de ce qui est attendu d’un type ou l’autre de relation vont grandement contribuer à cimenter la relation dans une des deux configurations.
L’autrice élabore sur deux grandes catégories de liens amoureux non-romantiques :
- Liens familiaux : parents/enfants, adelphes, familles choisies. Ces dernières peuvent être des familles totalement recomposées (grotas, famillles choisies queers, …) ou s’interfacer avec des familles légales (lien perso à la famille de T. par ex).
- Liens amicaux, avec un focus sur les configurations qui vont plus loin que l’amitié « classique » où on garde un peu ses distances : vacances systématiques ensembles, vie ensemble (colocation ou visites journalières), élever des enfants collectivement (mais je vois plus trop la différence avec les familles choisies plus on s’enfonce dans cette catégorie). Pour les hommes, enjeu de dépasser l’amitié « superficielle » (cf Billy No-Mates) où on traine ensemble sans jamais aborder de sujets de fond.
De la même façon qu’il n’y a pas d’amour mais juste des preuves d’amour, il n’y a pas d’amitié mais juste des preuves d’amitié (incise perso : la troisième proposition dans cette série c’est qu’il n’y a jamais de révolution achevée mais juste un processus révolutionnaire toujours à renouveler). Y’a une version anglaise : Friendship is showing up. La question de ce niveau d’investissement dans la relation peu servir à distinguer les amitiés des relations parasociales qu’on aime juste bien retrouver au bar (mais ce n’est pas pour dire que les amitiés intenses c’est bien et retrouver des gens au bar c’est superficiel : on peut apprécier les deux, juste ça n’apporte pas les mêmes choses).
L’amitié bénéficie – comme l’amour – de la mise en place de rituels pour se solidifier : grotassemblements réitérés, groël, activités partagés récurrente (cours de pilates ou d’escalade, conversation du mardi soir, …). La question de discuter des attentes et limites de la relation est aussi quelque chose de faisable dans le cadre d’une relation amicale : est-ce qu’on apprécie que l’autre passe à l’improviste ? Parle en détail de ses problèmes psys (ou en parle à un moment spécifique, on n’a pas toujours la bande passante pour).
ALM détaille des cas de mise en exergue d’amitiés par des labels spécifiques : Queer platonic relationship, platonic life partner. Sert aux personnes à montrer que c’est une relation plus intense que ce qu’on entend par le très générique « ami·e ».
Sur le côté relations romantiques, ALM détaille différentes modalité de sortie du couple romantique hétéropatriarcal exclusif et cohabitant (dernière fois que je l’écris !) : décohabitation, relations non-exclusives, polyamour… Plus généralement, avoir des relations romantiques qui ne soient pas la relation la plus importante de notre vie sociale ou qui ne soient pas une cellule isolée qui vit en vase clos. Enfin, elle aborde les modalités d’éducation d’enfants en dehors de ce modèle : coparentalité (deux parents dans une relation non-romantique), alloparentalité (des figures de références dans la vie de l’enfant qui n’ont pas le statut de parent : oncles et tantes, marraines et parrains, beaux-parents, autres statuts…). La coparentalité subie est fréquente dans les relations hétéropatriarcales après un divorce, la coparentalité choisie est un mode plus fréquent dans les milieux queers.
En conclusion essai intéressant qui explore pas mal de thèmes que j’ai envie de creuser en ce moment, je recommande !