Ralentir ou périr, de Timothée Parrique

Essai économique sur la décroissance, paru en 2022. Fiche de lecture un peu brute de décoffrage, j’ai pas trop pris le temps de réécrire des transitions.

L’auteur commence par rappeler que la croissance était initialement un indicateur d’atteinte d’objectifs dans les États-Unis post-Grande Dépression : elle mesurait la production d’équipements et de nourriture, sortie de la pauvreté. Mais l’indicateur est devenu un objectif en soi, quelques soient ses conséquences et son lien à la production réelle. Or, croître indéfiniment dans un monde fini ne peut pas bien tourner sur le long terme. Il faut transitionner vers un monde post-croissance – après une phase de décroissance pour redonner à l’économie mondiale une taille supportable par la planète tout en assurant les droits humains (se retrouver dans le donut de Raworth). Le but est d’arriver à une économie stationnaire, en harmonie avec la Nature, où les décisions sont prises collectivement et où les richesses sont équitablement partagées.

Historiquement, l’économie est l’organisation de l’utilisation des ressources pour satisfaire des besoins (en prenant en compte à la fois les besoins immédiats – court-terme, la résilience du système – moyen-terme, et sa soutenabilité – long-terme)). Mais l’économie telle qu’on l’entend de nos jours est celle mesurée par le PIB : l’addition des valeurs marchandes des différents biens et services.
C’est assez différent : on regarde seulement ce qui est mesurable, et donc échangé dans un secteur marchand, en excluant beaucoup de pans de l’activité humaine et naturelle (travail domestique, bénévolat, services écosystémiques par exemple), et on additionne indifféremment toutes les activités, qu’elles soient bénéfiques ou néfastes à la réalisation des besoins humains. Le PIB peut ainsi augmenter par intensification des échanges (changer de téléphone tous les 2 ans au lieu de tous les 5 ans, échanger des billets entre deux personnes en boucle), ou par accroissement de la sphère marchande (des nuits passées en couchsurfing sont passées en Airb’n’b), sans que plus de besoins ne soient satisfaits : le PIB et sa croissance sont donc en grande partie décorrélés des besoins humains.

Parrique s’attarde sur les arguments sur la possibilité de découpler consommation de ressources (et donc le risque sur la soutenabilité) et croissance : historiquement, on n’a constaté que des découplages temporaires (suivi d’un rebond), petits, lorsque la croissance était de toute façon faible, et poussés par des délocalisations/une tertiarisation locale de l’économie. Pour qu’un découplage soit utile à la soutenabilité, il devrait au contraire être mondial, massif, permanent… et arriver immédiatement. Ce découplage absolu pourrait de plus être obéré par :

  • des effets rebonds,
  • l’empreinte non-nulle du secteur tertiaire (qui repose sur des infrastructures physiques)
  • la diminution des retours sur investissement énergétiques et miniers (extraire la même quantité d’énergie demande de plus en plus d’énergie au fur et à mesure qu’on épuise les ressources faciles d’accès), et
  • l’impossibilité d’un recyclage à 100%.

Le découplage comme solution pour rester dans un monde en croissance est donc une chimère.

L’économie comprise comme les activités de production est encastrée dans les activités de reproduction (sommeil, lien social, repas, entretien/maintenance – faire que les humains, les infrastructure et le système se perpétuent) et dans les services écosystémiques (l’entretien des grands cycles biologiques et physico-chimiques par les écosystèmes).
La croissance est toujours limitée par un budget-temps allouable aux activités humaines : il n’y a que 24h dans une journée, et on ne peut pas toutes les consacrer aux activités productives : ce serait creuser dans les processus de reproduction, et donc délétère pour la croissance elle-même, puisque sur le plus long terme, ces processus la soutiennent.

Pour qu’un objet devienne une marchandise, il faut qu’il soit quantifiable, standardisable (considérer tous les lapins d’une même espèce comme équivalents par ex), monétisable (donner une valeur monétaire à un lapin), et privatisable (établir un droit de propriété sur les lapins, qui sera transférable). Ces processus engendrent des pertes entre les objets et les marchandises : les légumes non-calibrés ne sont pas vendables (pas standardisés), et on perd une diversité de qualités intéressantes si on ne s’intéresse qu’à certains aspects d’un objet.
De plus, l’inscription d’un échange dans la sphère marchande change sa nature : la relation d’achat/vente n’est plus la même que celle de don/contre-don, et les attentes entre les acteurs ne sont plus les mêmes : un trajet en Blablacar ne se vit pas comme un trajet en stop, les parents participant à une garderie communautaire n’ont pas les mêmes attentes que ceux inscrivant leurs enfants dans une crèche privée.
Le périmètre de ce qui est marchandisable est fixé socialement (on peut vendre des carottes, pas des organes humains), ainsi que les modalités de la marchandisation (normes d’hygiènes associées, possibilités de vendre tel bien dans tel ou tel lieu). L’activité économique ne se fait pas dans le vide, mais selon ce que la société définit comme acceptable (les marchés ne se créent pas ex nihilo) : il est donc tout à fait possible de réguler différemment cette activité et de l’orienter vers une décroissance généralisée.

Une économie en décroissance produirait moins de bien et services (quantité, diversité, fréquence). Cela se traduirait par une baisse du PIB, mais spécifiquement aux dépens des activités socialement et écologiquement néfastes. Pour fonctionner, la décroissance doit viser :

  • L’allégement de l’empreinte écologique : le but est, à l’échelle de chaque territoire, de faire repasser la consommation de ressources en dessous des seuils de renouvelabilité. Pour ça, on vise une réduction ciblée des activités extractives et émettrices de CO2, avec des politiques d’interdiction et de désincitation : fermeture de lignes aériennes, taxes sur le kérosène, taxe progressive sur les vols en avion, taxes sur les SUV, interdiction planifiée des moteurs thermiques neufs, interdiction de la publicité pour les voitures, interdiction de la publicité pour les produits carnés …
  • De manière démocratique : l’objectif est de sortir du fonctionnement visant à la maximisation des profits pour les grands groupes : (re)nationalisation des monopoles naturels, organisation collective du démantèlement de certaines activités jugées nocives, transformation de d’autres activités en coopératives.
  • Dans un esprit de justice sociale : tout le monde n’émet pas les mêmes quantités de CO2. La décroissance doit viser une convergence entre pays et classes : les plus riches devront supprimer une part bien plus importante de leur empreinte écologique que les plus pauvres, qui pourront dans certains cas continuer de croître pour passer au dessus des seuils garantissant les droits humains.
  • Et dans le souci du bien-être des gens : le but de la décroissance est de préserver les activités à impact positif et le temps libre. Cela passe par une mise en commun des équipements, une primauté accordée aux activités associatives, la préservation de la Nature et des possibilités d’accès à icelle, et la garantie de l’accès à un travail socialement utile.

La décroissance est une phase, qui doit permettre d’atteindre une organisation de la société post-croissance, qui sera stationnaire et respectera toujours les 4 points mis en avant pour une décroissance fonctionnelle. Il peut y avoir des variations de production selon les moments, mais qui restent légères : le but est de rester dans le donut de Raworth, les gains de productivité sont toujours recherchés mais pour permettre de dégager davantage de temps libre.

  • L’économie est circularisée au maximum (réduction de la pression sur les ressources), l’éco-innovation permet d’améliorer là où possible l’efficacité des procédés, libérant des ressources (soit pour une autre activité, soit pour de la non-consommation : restitution de zones à la Nature).
  • L’expression des besoins pour savoir quoi produire passe par des comités/conventions plus ou moins locales, qui remontent et arbitrent les besoins des citoyen.nes. Les entreprises sont dirigées par leurs parties prenantes, et doivent justifier en quoi la production qu’elle proposent est socialement bénéfique (produits, process, à quels besoins ils répondent) avant d’avoir un accès au crédit (qui deviendrait un commun bancaire) et aux autres ressources
  • Pour garantir la redistribution, mise en place d’un héritage minimum garanti, touché à 18 ans, et d’une taxation progressive du patrimoine (ex, de 0,1% à 90%, en sept tranches). Revenu minimum garanti + taxation progressive sur les revenus, échelle des salaires dans les entreprises ou fixation des salaires par les employés et distribution des profits de chaque entreprise votée par les parties prenantes.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.