Essai français publié en 2024. L’auteur retrace l’évolution des différentes sources d’énergie utilisées depuis la Révolution industrielle. Il montre que si on présente classiquement l’Histoire des énergies comme un récit phasiste (avec un Âge du Charbon auquel succède un Âge du Pétrole puis un Âge de l’Électricité…), cette vision est fausse, reposant sur une étude des consommations relatives des énergies, mais s’effondre si on regarde les consommations absolues. Les énergies ne se sont pas succédées mais entraidées à croître.
Fressoz expose dans le détail sur plusieurs chapitres les synergies entre différentes énergies :
- L’exploitation du charbon a nécessité celle du bois pour étayer les mines, faisant exploser les consommations et le commerce mondial du bois sur le temps long (au début des années 50, les mines européennes absorbent encore 10% du bois d’œuvre européen)
- L’usage de la machine à vapeur et du charbon ont en retour facilité l’exploitation forestière et en faisant baisser le coût du bois, augmenté sa demande (et ses usages, avec les traverses de chemins de fer, remplacées fréquemment jusqu’à l’invention de la créosote), usage du bois et charbon de bois en remplacement du charbon de mine dans ces machines dans certains cas (notamment les scieries qui avaient la matière sous la main) : la sidérurgie brésilienne utilise actuellement 30 millions de m³ de charbon de bois par an (vs 1 million au pic de la sidérurgie US dans les années 80).
- Le pétrole est fortement consommateur de charbon pour les infrastructures d’exploitation (acier des derricks et oléoducs) et de consommation (voitures, routes), mais aussi de bois à ses débuts (transport en tonneaux, le pétrole US consomme dans les années 1900 2x plus de tonneaux que l’industrie des boissons alcoolisées) et encore actuellement pour la fabrication d’acier : si est marginal par rapport au charbon, une seule entreprise française de production d’infrastructures pour l’exploitation pétrolière (Vallourenc) consomme actuellement 3 millions de m³ de bois/an, plus que toute l’industrie pétrolière à la fin du XIXe siècle.
- L’énergie peu chère du pétrole va aussi favoriser le bâtiment et donc les coffrages, les panneaux de contreplaqué, les plaques de plâtre (avec un support carton intégré, donc consommatrices de bois), ainsi que la consommation domestique et donc les emballages et les palettes. La sylviculture va bénéficier des engrais azotés et de la mécanisation, faisant croître fortement les surfaces exploitées. Byproduct de cette exploitation, la consommation de bois de feu mondiale a doublé depuis 1960 (x7 sur le continent africain).
La transition n’a jamais eu lieu. Mais comment l’idée que c’était le cas (qui alimente l’idée que puisqu’il y a eu plusieurs transitions énergétiques déjà réalisées, une nouvelle transition hors des fossiles sera possible) s’est diffusée ? Ce discours sur la transition énergétique s’est diffusée en plusieurs temps :
- Suite à la crise des années 30, des ingénieurs US diffusent l’idée que les équations logistiques (les « courbes en S » avec un plateau bas, une croissance brusque et un plateau haut) décrivent tous types de comportement, dont la production d’énergie : il n’y a pas de croissance infinie de la production, et une fois sur le plateau haut, il est nécessaire de transitionner vers une autre énergie pour continuer à subvenir à des besoins croissants.
- Le rapport Energy for the Future rédigé en 1953 par Putnam pour l’industrie nucléaire introduit une étude de l’énergie sur le temps long (cadrage temporel plus facilement adopté par l’industrie nucléaire, en raison de la demi-vie de leur produit et des problèmes de gestion associés) : ce rapport affirme que les ressources fossiles seront épuisées à la moitié du XXIe, et que la transition vers le nucléaire (et la technologie des surgénérateurs) est nécessaire pour affronter ce problème de ressources. Ces réflexions sont couplées à un néomalthusianisme voyant l’énergie comme le goulet d’étranglement de l’Humanité (les engrais de synthèse apparaissant comme une réponse à la production agricole). C’est aussi des cénacles pro-nucléaires que les premières alertes sur le risque des gaz à effet de serre se font entendre, toujours avec en ligne de mire la solution de l’énergie nucléaire.
- L’idée de crise énergétique se développe dans les années 70 en Occident (avant même le choc pétrolier de 73 qui va l’amplifier), d’abord comme backlash contre les environnementalistes, qui risqueraient de précipiter cette crise en menaçant le développement du nucléaire. Le choc pétrolier amplifie cette idée ainsi que celle de la transition énergétique qui permettrait une souveraineté énergétique. Puis ces concepts sont retournés par les mouvements écologistes pour argumenter en faveur d’un paysage énergétique sans fossiles ni nucléaire, avec l’argument d’une décentralisation (comparé au nucléaire qui doit être centralisé et géré par l’État) qui permettra d’économiser les coûts du réseau et de technos qui peuvent être portées par un marché libéral. La transition énergétique devient à partir de ce moment un terme attrape-tout revendiqué par tous et décrivant des stratégies contradictoires.
- Jusqu’au début des années 80, la transition est donc un concept qui vise à gérer la raréfaction perçue des fossiles, pas leur trop grande abondance. Cesare Marchetti (scientifique atomiste), va diffuser l’idée que l’évolution de l’usage des énergies dépend de la diffusion des techniques permettant leur usage. Les énergies sortiraient du paysage par obsolescence quand de nouvelles technologies matures permettraient d’exploiter l’énergie suivante (vision très téléologique, et comme l’a montré la première partie, totalement fausse pour la disparition des énergies du paysage énergétique). Mais cette idée permet de parler d’une transition liée aux technologies disponibles et non aux stocks de ressources. La diffusion progressive des enjeux climatiques va mettre en évidence ce besoin de transition, au début perçu comme totalement compatible en termes de calendrier. Il était affirmé sans base que la transition prendrait 50 ans (en se basant sur une estimation du temps de découverte et diffusion des nouvelles technologies qui la permettrait, sans être clair sur ce que seraient ces technologies, excepté toujours les fameux surgénérateurs – qui n’existent toujours pas en 2024), ce qui laissait le temps de la faire bien avant que les enjeux climatiques ne soient prépondérant. Il était donc urgent d’attendre pour que les technologies puissent se développer. Mais ces estimations occultaient totalement le temps de déploiement sur le terrain des technologies en question en termes de formation des métiers et déploiement d’infrastructures : la transition imaginée effectuée durant les années 2010-2020 une fois les technologies matures n’était économiquement absolument pas viable.
- Les modélisations plus sérieuses du système énergétique et de ses évolutions concluent à un changement climatique inévitable : éventuellement un peu repoussé par les mesures les plus audacieuses, mais jamais évité. Dans cette optique, promotion à la fin des 70s/début des 80s de l’adaptation, dans le cadre de travaux sous-estimant grandement (par rapport aux travaux + récents) les coûts des impacts du CC, notamment sur l’agriculture, et considèrent comme acceptable de rendre des portions entières du globe inhabitables.
- Les mêmes experts vont passer de la modélisation de la crise énergétique à celle de la crise climatique, et y importer le modèle de la transition. Ce constat s’applique aux prémices du GIEC aux USA, en France et en Inde. Les mêmes modèles vont être appliqués, en considérant que la ressource limitée n’est plus les fossiles mais un climat stable. La création du GIEC visait initialement à redonner la main aux États sur les négociations climatiques, en tuant dans l’œuf l’initiative onusienne Advisory Group on Greenhouse Gases (AGGG), considéré comme trop indépendante (et qui voulait gérer les GES de la même façon qu’avait été traité le trou dans la couche d’ozone, avec des objectifs contraignants). Les USA notamment – mais pas seulement – vont notamment promouvoir via le groupe III du GIEC et la convention des Nations-Unies sur le Climat (UNCC) les solutions technologiques (pas de contraintes sur les émissions, pas d’assistance sous forme financière aux pays impactés, mais de l’assistance technique et des transferts de technologie).
- À partir des années 2000, le GIEC infléchit ses positions suite à des batailles d’influence en interne. Le risque de carbon lock-in entraîné par une position attentiste est mis en lumière, les objectifs de limitation de l’augmentation des températures sont rehaussés, et une trajectoire de transition rapide devient plébiscitée (sur le papier). Mais comme dans le même temps les émissions n’ont pas décru, les trajectoires de réductions des émissions sont devenues ultra-raides, avec l’invocation de techniques de capture du carbone technologiquement non-matures pour permettre de rester sur la trajectoire. Ces technologies plus ou moins irréalistes ont servi de diversion pour ne pas parler de sobriété ni de décroissance, mots qui ne sont apparus dans le rapport du groupe III seulement en 2022.
Le discours de la transition énergétique a surtout servi à justifier l’attentisme et le fait d’utiliser les fossiles comme « énergie de transition » le temps d’avoir d’hypothétiques technologies propres : dans le vocabulaire actuel des majors de l’Oil & Gas ne domine plus le climato-scepticisme mais l’action en faveur de la transition (sans que la réalité du gros de l’activité ne change. La transition énergétique, basée sur une Histoire fausse, fait office de « futur politiquement correct du monde industriel ». Elle change le mal en remède, les industries polluantes en industries vertes et l’innovation en solution universelle.