Article invité : Harry Potter et les rouages de l’administration

« L’œuvre dure en tant qu’elle est capable de paraître tout autre que son auteur l’avait faite. »

Je vous ai manqué ? Mais si. Vous savez bien. La narratologie, les anglicismes à tout va, les élans dégoulinants d’enthousiasme dissimulant à grand peine le cynisme naturel sous une couche d’hystérie bon enfant ? Devinez qui vient dîner.

Aujourd’hui, mes tout petits rejetons des chaînes Youtube « What Is Wrong with [insérer produit de culture populaire des années 90-00] in 5 Minutes or Less », nous nous attaquons au piège régressif de l’été, à savoir la dernière mouture potteresque d’obédience rowlingienne, et holy moley, je viens sous vos yeux ébahis et sans en avoir l’air, tel le croate, de battre Paul au concours des néologismes moisis.

Au-delà de la question – toujours essentielle – des points au Scrabble, il est pertinent de parler d’obédience (tatata), dans la mesure où le bouquin, et la pièce de manière générale, sont le fruit d’une collaboration entre JKR et deux autres Anglais, qui sont probablement des personnes formidables, ou du moins qui ont intérêt à l’être, s’ils ont à cœur l’intégrité physique de leurs bow windows, puisqu’ils adaptent aussi His Dark Materials pour la BBC, et qu’on ne plaisante pas avec les piliers culturels d’une enfance sombre et torturée. C’est un point qu’il peut être intéressant de garder en tête quand on s’intéresse comme moi – et comme vous. Si si, je vous assure, vous vous y intéressez. Sans aucun lien, voici Serguei, mon assistant. Il appartient en quelque sorte à un avatar du formalisme russe. En quelque sorte. – aux questions d’auctorialité, particulièrement intéressantes dans le cas de Rowling, mère de tous les control freaks littéraires de l’Ancien et du Nouveau monde.

Moi, je ne vois que moi, il n’y a que moi dans ce livre lààà laaa, lalalalala.

JKR a toujours dit qu’elle regardait d’un œil bienveillant les innombrables tentatives d’appropriation de son univers par des fans, et je la crois tout à fait. Néanmoins. Au matin du troisième jour, Joanne Kate regarda vers l’ouest, elle vit Pottermore, et elle vit que cela était bon. Elle regarda ensuite vers l’est, et elle vit HPMoR, et elle vit que cela était bon et tout de même un peu humiliant. Nous avons devant nous l’une des premières auteures à avoir réagi à la vague Internet sans s’aliéner les communautés en ligne, ce qui n’était pas gagné étant donné le rouleau compresseur à théories fans qu’est Pottermore. Via ce site, et d’autres déclarations publiques de Rowling, Dumbledore a fait un coming-out laborieux ; McGonagall a vu sa vie sentimentale réduite à un petit tas de cendres et d’erreurs de parcours grossières (ce que je ne lui pardonnerai jamais) ; Ron a bien du admettre qu’il ne méritait pas Hermione, parce que, vous savez, les Irlandais ; la consanguinité poudlardienne (mot compte triple) a pris des proportions délirantes ; la vie de tous les personnages adultes vous a soudainement donné envie de vous ouvrir les veines à la petite cuillère, et la vie des personnages jeunes de les faire rouler avec un bâton pointu jusqu’à la plus proche poubelle. Pottermore est un démon à mille yeux, mille têtes, et mille hyperliens super mal intégrés. Pottermore est le fossoyeur de vos rêves d’enfance. Si l’univers sent la framboise, Pottermore a probablement des relents de lait. Non pas que son influence sur le canon de l’univers ait été si déterminante, à mon avis, car, selon la formule consacrée, c’était trop, et trop tard. Mais son existence même nous invite à poser la question suivante, question cruciale que JKR a forcément dû se poser pour écrire – ou pitcher – Harry Potter and the Cursed Child (oh, ironie des dénominations) : qu’est-ce que « Harry Potter », en 2016 ?

On ne peut pas prétendre qu’à l’heure actuelle, Harry Potter n’est toujours qu’une série de 6 livres et 1 erreur (Half-Blood Prince, si tu m’entends). Les premières générations de lecteurs ont dû s’accoutumer à une masse fictive bien plus grande que les 7 tomes, et ajouter au grand bouillon fictionnel les films, les jeux vidéos, mais aussi les tumblr, les mèmes, les fanfictions (oh, les fanfictions…), le cosplay, sans parler des opus parallèles de JKR, et jusqu’à la voix de Stephen Fry imitant de manière bizarre mais étrangement émoustillante des voix de vieille anglaise pour les personnages féminins de l’audio book. Alors oui, post-moderne lecteur, mon semblable mon frère, tu le sais bien qu’Harry Potter, ce n’est pas seulement la description oublieuse d’une société structurellement raciste, ou un puits sans fond de réjouissances écossaises pour amatrices de femmes mûres.C’est aussi « Snape, Snape, Severus Snape, DUMBLEDORE ! », « Yo Harry, you’re a wizard papapapapapapam », et autres « Your mama is so fat her Patronus’s a cake ».

C’est donc une chose de créer Pottermore, qui en tant qu’encyclopédie, n’a pas pour nous autant de pouvoir de conviction que la fiction. C’en est une autre de prétendre donner une suite, 10 ans après, à un univers déjà sursaturé.

It’s over, isn’t it, isn’t it, isn’t it over

Et le coup de génie de JKR, c’est qu’elle ne le fait pas. Pas vraiment. L’intrigue même, dans tout son saint n’importe quoi, témoigne de cette conscience aiguë des limites du geste de continuation. De manière intéressante, elle coche même toutes les cases des suites allographes, c’est-à-dire des suites d’œuvres de fiction réalisées par d’autres auteurs que l’original (cf les suites des Trois Mousquetaires, ou les continuations de toutes les séries littéraires populaires type James Bond) : ambiance de dégénérescence, surexploitation de la progéniture des héros, aucun bouleversement majeur du status quo. Sur ce dernier point, on peut évidemment débattre (bonjour-voyages-dans-le-temps-qui-font-pleurer-au-logicien-des-larmes-de-sang), mais personnellement, j’avais beaucoup de mal à éprouver une quelconque inquiétude pour les personnages, et à aucun moment je ne me suis dit qu’elle risquait de tuer Harry ou une autre tête d’affiche, alors que, soyons honnête, c’était l’occasion rêvée pour le faire (et il le méritait tant et tant). Il est évident que rouvrir d’aussi vieux dossiers interdisait de fait toute modification majeure du canon, et il est certain que tout ce qu’elle a pu tenter dans ce sens sera retenu contre elle par des hordes de fans hurlants, la bave aux lèvres et la cicatrice au front (pour n’évoquer que le cas de Delphini Jedusor-Lestrange, emokid de prestige devant l’éternel). Et c’est là que Rowling a été très forte. Pour contourner les accusations de réécrire l’histoire, elle nous offre une pièce qui parle de… réécrire l’histoire. Oh, c’est un oiseau, c’est un avion, c’est une coïncidence métatextuelle entre forme et fond de moyenne facture.

Pardon pour l’esbroufe, ensuite je me calme et je donne mon avis (mais en termes de style, essayer de limiter les anglicismes me rend par ricochet tout de suite plus pédante, c’est une tare. Cette fois-ci je m’en tiens aux titres, parce qu’il faut bien vivre). Bienvenue dans mon segment « Marion donne son avis sur quelque chose de connu », aujourd’hui on fait la critique du dernier Harry Potter, et on se la donne. C’est parti pour « Everything that feels so right and oh so wrong about HPCC in 99 pages or more. » Regardez moi ça, j’ai menti. Ce qui me rappelle également que cette chronique est garantie 100 % spoilers : il y a un lieu et un temps pour parler des livres que l’on n’a pas lus, et il s’agit respectivement de la salle 308 de Paris 3 et de l’hypokhâgne. Ici nous faisons les choses bien.

Formulons donc, et la brillance de mon raisonnement me laisse moi-même comme deux ronds de Fondants au Chaudron, l’hypothèse suivante : Harry Potter and the Cursed Child n’est pas un livre de JK Rowling. C’est une hypothèse parfaitement raisonnable, que je vais m’employer à prouver en 8 étapes simples, 200 anglicismes superflus, 3 schémas, quelques photos de Maggie Smith, un excès malsain de parenthèses (voir figure 1), des figures invisibles – il fallait kickstarter ma tablette graphique, tant pis pour vous –, des tirets d’insertion parce que ça fait plus chic, des éléments d’énumération ajoutés simplement pour le rythme de la phrase, beaucoup de références au tome 5, une cuillerée de Rebecca Sugar, prenez un biscuit Potter, un peu d’analyse narrative, beaucoup de spoilers, de la subjectivité en veux-tu en voilà, sans parler de l’éternel problème des pieds des Détraqueurs (oui, ce problème là).

Show must go on

Pour commencer, je voudrais partir du point perturbant numéro 1, le choix de la forme théâtrale. Qui est surpris ? Bon. Il y a évidemment beaucoup à en dire si on considère notre vision actuelle du théâtre : depuis au moins 50 ans, le théâtre, c’est bien plus l’espace de la parole que de l’action, surtout depuis qu’on a le droit à un film Marvel par an et un Hunger Games pour Noël. Et, d’expérience, JKR est plutôt quelqu’un qui est là pour nous raconter des trucs, pas pour faire résonner le silence et les absurdités d’une langue vidée de toute signification par la révolution mallarméenne (encore qu’on puisse débattre du cas de « discombobuluated »).

Ma première réaction a d’ailleurs été de me dire que c’était un choix étrange dans la mesure où sa principale force ne réside pas vraiment dans les dialogues. Bon, c’est mieux que Tolkien (en même temps qu’est-ce qui est moins bien que Tolkien), mais pour moi elle a essentiellement trois cordes à son arc : les envolées émotionnelles (et autres phrases à clôture de bande-annonce sur fond noir, choix, possibilités, and all that jazz), les traits d’esprit, qu’elle aime tellement qu’elle ne résiste pas à la tentation d’en laisser à tous les personnages ou presque sans considération d’intelligence ou de personnalité (même si, soyons honnêtes, « You were moderate to average » ? Complètement fabuleux), et le reste, soit le dialogue fonctionnel. Je suis un peu revenue sur cette idée en lisant la pièce, parce oui, c’est vrai, beaucoup de dialogues sont assez plats et servent uniquement de support à l’action, mais mon Dieu, qu’elle est efficace dans la catégorie réplique cinglante. Au point que, vu le rythme effréné, on ait parfois des problèmes de rupture de ton un peu brusques qui m’ont dérangée.

Alors oui, JK Rowling n’est pas Beckett (qui est surpris ? Bien. Oh. Quelqu’un a lu avec un peu trop d’enthousiasme mon billet sur Lemony Snicket, je vois. Allez, on range son béret et ses lunettes noires, on garde son cake banane-post modernité pour demain et on reprend un peu de pop-corn shakespearien), et la pièce se range du côté de quelque chose qui a, j’ai l’impression, presque disparu en France, le théâtre à grand spectacle. Le rétro revient en force, il faut croire, parce qu’en toute logique, avec une intrigue pareille à l’heure actuelle on ne fait pas une pièce, on fait un film. À moins d’être un fan de pièces à machines façon cour de Versailles avec câbles et poulies. Mais c’est là qu’intervient un facteur que j’aime toujours à convoquer parce qu’il m’apporte un grand sentiment de satisfaction et éclaire de sa lumière tous les recoins sombres d’absurdité de l’existence : les Anglais-e-s. Je les aime tant. En l’occurrence, je suis loin d’être spécialiste, mais j’ai l’impression que la tradition du théâtre de divertissement est restée bien plus vivace chez eux, et on ne s’en étonnera pas dans le pays, non pas de Candy, mais de la comédie musicale, ce qui est presque pareil, mais pas complètement.

Et de fait, il faut imaginer The Cursed Child avec au moins le double des moyens de Wicked et consœurs, au prix de quoi la pièce est sans doute formidable, parce qu’à moins, la pièce est sans aucun doute ridicule. Quelqu’une me faisait la remarque que les didascalies ne sont pas des didascalies de théâtre, et effectivement, bon courage pour mettre en scène « And time stops. And then it turns over, thinks a bit, and begins spooling backwards » et bonsoir chez vous. Et puis, comme je le disais, les pieds des Dementors. Les moments d’irruption des acteurs dans le public sont toujours liés à des trucs effrayants, et j’imagine que, bien fait, ce doit être assez fabuleux. Mais à ce niveau, ça relève d’un fantasme de lecteur devenu réalité : sentir le souffle du Détraqueur sur sa nuque longue, un rêve livré chez vous en kit par les années 90. HPCC serait-il le Pokemon Go de la littérature jeunesse ? Encore faut-il pouvoir créer sur scène quelque chose qui s’approche de l’image fantasmée, sinon c’est vite arrivé de faire un peu tièp (et pieds, encore et toujours). J’espère pour eux (mais je n’en doute pas) qu’ils ont beaucoup, beaucoup, beaucoup d’argent, sinon les Dementors risquent de se prendre les pieds dans le tapis. Surtout que notre imaginaire de la magie est désormais complètement programmé par les images issues des films. Shakespeare versus Miramax, j’ai vu la fiche technique finale mais j’aimerais que le service presse m’envoie une invit’ et un billet d’Eurostar, juste pour être sûre.

Le théâtre c’est la santé, ça économise du papier.

C’est l’autre facteur qui explique ce soudain désir de show-biz à l’ancienne. On ne le dirait pas parce que le bouquin est calibré pour ne pas pâlir à côté des 7 tomes en terme de poids, mais ce n’est pas un huitième opus que nous avons entre les mains : si on est honnête, c’est une deuxième saga. Et le parti que tire JKR du format, c’est avant tout une conséquence d’une flemme d’écrivain (dans cet ordre, on reviendra après sur les apports concrets).

Elle s’était plus ou moins enfermée elle-même dans une logique de série, avec des passages obligés communs à tous les tomes, et le défi consistait à les garder (parce que c’est ce qui fait plaisir au lecteur, de retrouver Choixpeau et matchs de Quiddich, sans parler de la petite pastille « Apprenons les numéros d’urgence sociale avec la famile Dursley ») tout en apportant toujours des variations (« Maman j’ai raté le Poudlard Express », « Dumby j’ai agrandi ma tante », « Harry Bagman, confessions d’un colis voyageur » et autre joyeusetés). Sauf qu’en réalité, Harry Potter n’est pas une série, c’est un cycle. Une série, c’est Nancy Drew ou le Club des Cinq, c’est James Bond ou Tintin : une intrigue répétitive où les tomes peuvent se lire plus ou moins dans le désordre et où on nous re-présente tous les personnages via des subordonnées descriptives ajoutées au détour d’une phrase avec une subtilité à faire pâlir un Edward Cullen anémié. Et si une série peut donc compter sur la semi-amnésie des lecteurs, le cycle ne peut pas, il se lit dans l’ordre et n’a en général pas 50 volumes. Sauf que Harry Potter, pour nous, c’est aussi Poudlard, et donc la rentrée, la vacances, les devoirs, les bons points et les profs de let…métamorphose sexy (quoi ?). C’est l’inconvénient de fonder une série sur un rythme scolaire.

Manque de chance, pour nous raconter les aventures de He-Who-Should-Have-Been-Named-Differently, elle aurait dû repasser par la case découverte de Poudlard, d’une part, et d’autre part elle avait besoin d’un personnage suffisamment âgé pour que le conflit avec le père soit bien établi, et qu’il puisse aussi draguer les fans d’Evanescence trop vieilles pour lui. Écrire une pièce lui permettait de laisser suffisamment de blancs entre les scènes et de faire les ellipses nécessaires, et dans cette mesure, l’histoire est particulièrement adaptée au théâtre. Au niveau de la continuité et de la variation des points de vue, ça permet aussi d’introduire les scènes de rêve, que je trouve particulièrement bonnes et intéressantes, ce qui aurait été plus compliqué dans un roman où on aurait suivi Albus Severus (je vous demande un peu. C’est sans doute l’équivalent sorcier de Louis-Napoléon, en matière de prénom). Elle voulait plusieurs héros, plusieurs strates temporelles, il lui fallait un format où les coupes sont faciles, c’était donc soit théâtre soit cinéma, et l’un était plus accessible pour elle que l’autre. Et oui, ça nous donne quelque chose de plus disproportionnée qu’un film hongrois en noir et blanc, avec plus de changements de décor qu’une pièce de Maeterlinck et moins de continuité qu’un épisode de Kino, mais de ce point de vue, ça marche. Bien sûr, elle aurait pu se réinventer totalement et écrire un roman qui ne soit pas construit comme les précédents. Mais 1) c’est fatiguant et 2) peut-on vraiment sortir Harry Potter de sa logique sérielle sans perdre Harry Potter en route ? Personnellement j’aurais préféré un roman, mais j’ai conscience que le « frisson fan » aurait sans doute été moins cultivé, parce que JKR aurait été forcée d’innover en profondeur, pour une comparaison peut-être moins flatteuse avec les autres tomes.

Tick tock goes the clock, even for the Potters

Néanmoins, la frustration demeure. Parce qu’on n’a pas le temps de s’attacher aux nouveaux personnages (le coup de théâtre Delphi aurait été autrement plus efficace si ne l’avait pas vue dans 3 scènes et demi seulement). Parce que les scènes les plus dramatiques sont un peu en demi-teinte, à cause du désir de faire des bons mots (gosh, enough with the Snapy comebacks… see what I did there?) et surtout parce que les événements apparaissent en arrière-plan dans les didascalies. Sérieusement, on assiste à la triple mort d’Hermione, Other Ron et Snape en l’espace de 15 lignes, de la manière la plus choquante qui soit et 10 minutes après les avoir rencontrés, et on enchaîne avec une scène directement issue d’HPMoR, les Retrouvailles du Club des Deux, option sarcasme adolescent. JKR, I am not amused. Ma sensibilité est heurtée, presque autant que par la scène 10 de l’acte 2, également connue sous le nom de Harry Doit Mourir. C’est un peu dommage, dans la mesure où la pièce marche essentiellement sur l’émotion, mais j’imagine que sur scène l’effet est différent. Là encore, ma conclusion à la lecture, c’est que j’aimerais beaucoup voir la pièce, parce que le texte fait retomber comme un soufflé une partie des effets. Cela dit, je persiste à trouver que le temps passé dans cette timeline est bien trop court. Elle aurait pu créer (ou recréer, qui sait) le concept de série théâtrale, ça aurait été bath.

La contrepartie obligatoire, c’est que ça rend la pièce très efficace quand il s’agit de mesurer les effets du passage accéléré du temps. Pour cette raison, je trouve le début assez brillant, avec l’enchaînement des rentrées des classes successives. On voit petit à petit se dégrader le rituel aimé (de nous et de l’ancien héros), et le nouveau héros se transformer en ce qui serait sans doute un personnage complètement secondaire et anonyme de la première saga (ou, disons, Neville). Le rythme du début a le mérite de rendre crédibles les rapports entre les personnages, et de transformer efficacement l’atmosphère, Cinquante Nuances Plus Foncées (ils vous manquent mes anglicismes, maintenant).

Who’s your Daddy?

Et puisqu’il est question de rapports entre les personnages, je voudrais en profiter pour saluer la relative (on reste chez JKR) subtilité des rapports familiaux. Il y a du mieux, depuis les premiers Harry Potter (qui commençaient comme un conte, pour finir comme le Roi Lion). Parce qu’évidemment, la question « comment continuer après Harry Potter » ne se pose pas seulement à JK Rowling, elle se pose aussi aux personnages, me donnant la satisfaction de voir périr par le feu le happy end façon Notre belle famille du tome 7. Et l’auteur de mesurer les erreurs du passé. Première Leçon d’Éducation pour Parents peu Subtils, oui, devinez quoi, c’est une mauvaise idée de nommer les enfants d’après les morts. Surtout ceux qui se sont fait déchirer la gorge par une serpent géant dans une cabane secrète sous les racines d’un arbre boxeur parce que quelqu’un avait piqué un somme au mauvais moment et ne savait plus Sous Quel Gobelet Se Cachait La Baguette Magique. Deuxième Leçon, qui mériterait d’ailleurs un, petit approfondissement : il peut être malavisé de transmettre à sa progéniture un axe Bien-Mal indexé sur des classes d’option de collège, au risque d’augmenter sensiblement le taux de suicide chez les jeunes se découvrant une passion irrépressible pour l’économie. Question représentativité des Serpentards (les temps sont durs pour nous hippies de la safe-itude), on ne peut que se réjouir d’avoir, pour une fois, des héros issus des minorités, même s’il s’agit d’une minorité fictive créée par la première saga (nous y reviendrons aussi, de manière plus musclée, parce que j’en ai gros).

Spinners and Loosers

Je trouve en tout cas qu’elle réussit à être fidèle à la psychologie de Harry, qui reste agaçant et faillible juste ce qu’il faut, et jusqu’à un certain point on peut même croire qu’on va assister à la naissance d’un Mage Noir par le truchement de l’inadvertance et des bonnes intentions qui pavent la route d’HEC. Petite note en bas de page pour supposer que l’auteure a aussi quelques problèmes avec la figure du père. Il n’y a que les mères qui tiennent la route dans cet univers, et ça a toujours été le cas. Rien à redire non plus pour Hermione, qui se trouve même un peu vengée par la vie, même s’il faudra m’expliquer par quel chemin elle a pu devenir la Madame Pince de la Défense contre les Forces du Mal dans la timeline de l’ennui. Concernant Ron, il faut se rendre à l’évidence, Fred lui a laissé en héritage sa personnalité en mourant, ce qui parachève le côté « éternel sidekick transparent » du personnage. On peut évidemment envisager qu’il ait vieilli dans ce sens, ce qui à tout prendre n’est pas une idée désagréable, mais c’est un peu facile. De la même manière, dans ses premières scènes Delphi n’est qu’un genre de décalque de Tonks, et je commence à me demander si JKR n’a pas un nombre de types limité dans sa besace à caractères. Rose marche tout à fait comme le produit logique du mariage de Ron et Hermione, compte tenu de leur position sociale après-guerre, et je trouve assez agréable qu’on doive se poser la question de la descendance d’un groupe de looseurs parvenu au sommet par accident suite à une longue série d’atrocités. Nous avions des outsiders, nous voilà maintenant avec des héritiers, et pour une fois les logiques déterministes ne sont pas tout à fait ignorées : les enfants, contrairement aux parents, partent du haut de l’échelle sociale, et ne peuvent que se maintenir superbement ou dégringoler tout en bas, reine du bal ou Severus Snape junior. Harry Potter lui-même ne s’en sort pas si bien depuis qu’il est un gagnant. On sent un potentiel virage « Harry Potter et les rouages de l’administration » dans sa vie, un manque d’action certain, des soirées Biéraubeurre et échecs magiques avec son vieux pote roux et bedonnant, des petits crises post-traumatiques nocturnes, bref une vie de banlieusard moyen. Heureusement que sa progéniture est là pour le rendre au monde riant du totalitarisme.

Reste le Problème Malfoy. Je suis bien entendu au bord de distribuer un bon point et un image à Draco pour s’être marié en dehors des trois noms de Serpentards cartographiant le monde connu. Mais enfin je m’interroge : quand on a été élevé par des Nazis, conditionné pour assassiner Obama, et qu’on a échappé à la purge finale en mentant sur l’état d’un cadavre, est-ce qu’on déambule sereinement parmi ses anciens ennemis comme si on était à Levallois-Perret ? Peut-être. J’aimerais tout de même savoir où il a bien pu rencontrer sa femme, sans parler de l’énigme Scorpius, qui, si on en croit les lois de la générique rowlingienne, est plutôt le fils caché d’Hermione et de Molly Weasley que celui de Voldemort.

« Two magicians shall appear in England »

Soyons clair : Scorpius Malfoy, oscar du meilleur personnage dans un rôle original. C’est un mélange qui, je crois, n’existait pas chez Rowling, et qui surclasse Albus « daddy issues » Potter d’une bonne coudée. J’ai donc benoîtement aimé Scorpius. Et puis je me suis demandé pourquoi j’aimais Scorpius. Et c’est là que m’est apparu, claire comme une crystal gem, la solution à une énigme que bien des Anglais-e-s (eh oui, même elx) doivent se poser le soir, entre le sherry et l’after eight : à quoi JKR peut-elle donc bien occuper ses très nombreuses heures creuses ? Mesdames et messieurs, depuis qu’elle est devenu milliardaire, il est désormais évident que Joanne Kate Rowling parcourt les mers de l’Internet. Je pense que c’est indéniable et que c’est la petite touche qui apporte de la personnalité à HPCC, ce qui tend aussi à expliquer pourquoi on peut dire que le livre n’est pas tout à fait d’elle : non seulement JKR connaît ses fans, mais elle les a lus. Et si j’aime Scorpius, c’est parce qu’il ressemble à une décalcomanie blond platine d’un personnage de Harry Potter and the Methods of Rationality (sans doute Harry lui-même, dans sa période câlins).

En termes de vraisemblance chronologique, on s’y retrouve, puisque si Harry est un enfant des années 80 et que je soupçonne très fortement les Dursley de voter Thatcher, ses enfants sont censés être des adolescents d’aujourd’hui, à une ou deux unités Tardis près (si les sorts contraceptifs existent bien, disons qu’on se situe légèrement dans le futur, et, oh, d’ailleurs, c’est un peu trippant). Bon, le petit souci de Joanne Kate (dit comme ça on comprend mieux certains aspects de son œuvre), c’est qu’elle est un peu trop fière d’être à la page, et qu’elle se croit obligée de signaler toutes les deux répliques que Scorpius est un « geek ». On se demande bien à quoi ça peut correspondre dans une société où l’éclairage à la bougie est standard et où les pigeons voyageurs sont considérés comme hype côté technologies de la communication. En réalité, c’est aussi une facilité au sens où, sans doute par réaction familiale, vu le rôle peu glorieux qu’y a joué son père, Scorpius est remarquablement (…) informé des événements du passé (sérieusement, « il paraît que Bathilda Bagshot n’a jamais vu l’intérêt de verrouiller sa porte » ? Sérieusement JK ?), ce qui nécessite de le qualifier de geek pour rendre l’info crédible.

Fix-it Jo

Il serait donc bien une Hermione 2.0, et ce n’est pas le seul point commun. Pour me citer moi-même, j’y reviendrai, mais ce qui m’intéresse pour l’instant dans ce nouveau hobby de Rowling, c’est l’impression, dont il est difficile de se débarrasser, qu’elle répond aux critiques qu’on lui a adressées sur la toile. HPMoR n’est que la partie visible de l’iceberg, mais j’ai l’impression qu’il est admis depuis longtemps par tous les vieux lecteurs que cette histoire de Retourneurs de Temps est quand même carrément problématique, que la sécurité du Poudlard Express n’est pas au top, ou que la Carte des Maraudeurs est un artefact stupidement sous exploité. J’ai parfois eu l’impression en lisant d’assister à des sessions de « Joanne K., droit de réponse », y compris au sein de l’intrigue elle-même. Pas si à l’aise que ça avec l’idée que des adultes qui ont eux-mêmes pratiqué ce sport étant jeunes continuent à conserver des objets requérant un niveau de sécurité grosso modo équivalent à celui d’une bombe atomique sur une étagère poussiéreuse en se disant que mettre une devinette en alexandrins est le seul rempart qui vaille contre la barbarie, elle se sent obligée de nous ajouter une réplique de McGonagall (et pour cette unique raison, je lui pardonne) qui met le nez dans sa honte à Hermione comme si les échiquiers géants de Tchernobyl étaient des erreurs qui n’arrivaient qu’aux autres. S’en suit une explication approximative sur les précautions à prendre en cas de deuxième Retourneur de Temps Inopiné. Bah voyons. Si vous voulez mon avis, on ne pense pas assez au nombre de blagues qu’on pourrait faire avec un objet qui permet de retourner dans le passé pour 5 minutes seulement. Quoi qu’il en soit, on sent bien que notre bonne vieille Rowling est vulnérable à la critique, et aimons la pour ça, même si par ailleurs c’est un peu se foutre du monde si on considère les trous béants de l’intrigue.

Cette obscure clarté qui tombe de l’intrigue

Ah oui, il y a aussi ça. Ai-je vraiment besoin de remplir cette section ? Je veux dire, quelque part c’est assez rassurant de constater que, quand JK Rowling se lance enfin dans son propre sequel, ça donne quelque chose qui :

1) Est tout aussi crackpot qu’une bonne partie des fan fictions, et

2) Se recoupe largement avec ce qu’on trouve depuis des années dans une partie des bonnes fan fictions.

Je ne vais pas lister les incohérences, parce que j’ai la flemme et que ce serait tirer sur l’ambulance, d’autant que les youtubeurs ont déjà fait le tour de la question pour moi, mais c’est quand même gentiment ironique qu’en voulant réparer les erreurs du passé (aka l’existence des Retourneurs de Temps), JK se retrouve avec une pelletée de voyages temporels à gérer. Alors Que Les Voyages Dans Le Temps, C’est Compliqué. Et qu’elle n’avait visiblement pas le courage de vraiment affronter le problème.

Je ne vais même pas parler du stratagème dit de la couverture et de son absence totale d’économie (sans parler du manque de respect pour les objets à valeur sentimentale ajoutée). Mais tout de même, est-ce qu’on peut me dire pourquoi se retrouver pendant 5 minutes avec la tête de la taille d’une montgolfière en public suffit pour transformer un golden boy en Mangemort ? Je veux dire, il ne pouvait pas s’en sortir avec deux ou trois jeux de mots sur Pouffsouffle, une catchphrase du type « comme ma tête » et un t-shirt ironique ? Mais non, put the blame on shame boys, put the blame on shame. Cela dit, ça jette quand même un sérieux doute sur la personnalité de départ de Cédric Diggory (et ce n’est pas très joli, de traîner comme ça dans la boue un personnage tertiaire sans défense, mais ça a le mérite d’être rétrospectivement flippant pour le lecteur, qui voit désormais des Nazis potentiels derrière le moindre Colin Crivey). Autre question : en quoi la mort de Neville empêche-t-elle Rogue de mourir ? Le problème de la baguette de Sureau continue de se poser. Question subsidiaire : il a quel âge, Other Rogue du coup ? 65 ans ? Je crois qu’il n’y a pas de retraite sorcière, ce qui n’a rien de surprenant dans cette société de merde. Là ce n’est pas vraiment un problème, juste que je suis curieuse (Alan Rickman aurait enfin pu avoir l’âge de son rôle, tristesse).

Et pitié, dites-moi que vous aussi, vous ne croyez pas à l’existence d’une vie sexuelle de Voldemort. Bellatrix, aucun problème. Je veux dire, c’est Helena Bonham Carter, personnellement je signe quand vous voulez. Mais Voldy c’est un « non » franc et massif. Je pose une requête officielle pour une Gomme de Cerveau qui servira à effacer les images mentales dérangeantes procurées par la lecture de ce bouquin.

Autre difficulté, qui n’est pas liée cette fois aux voyages dans le temps : qui m’a fichu des incapables pareils? Je parle bien sûr d’Alby et Scorpy. C’est peut-être une fois de plus la faute du théâtre, mais on a l’impression qu’ils partent manipuler le temps sur un coup de tête comme s’ils avaient 11 ans alors qu’ils sont en quatrième année, si je ne m’abuse. Je ne devrais pas trop critiquer, parce que c’est traditionnellement l’esprit d’Harry Potter d’avoir des héros mal préparés, et excepté le Sac à Solution d’Hermione dans le tome 7, les gosses ont toujours fissuré l’atome avec de la ficelle et des dessous de plat en liège. D’ailleurs, c’est à double tranchant : ce sont de gros nazes, mais ils arrivent à quand même à s’infiltrer dans le Ministère de la Magie, qui est dirigé par Hermione et est donc censé être plus performant qu’un Serdaigle sous acide. Une fois passe encore. Harry and co avaient 18 ans, c’était la guerre, l’avenir de l’humanité était en jeu. Là, ils en ont 14 et les soirées Time’s Up chez les Potter-Weasley sont en jeu. Ces gamins méritent le centre de rétention Saint Brutus pour mineurs récalcitrants. Et on ne parlera pas de cette scène faux Ron-vraie Hermione. Enfin si, un tout petit peu : c’est très dérangeant. Bon, d’accord, c’est aussi très drôle. J’entretiens des sentiments compliqués à l’égard de cette scène. Mais elle a le mérite de poser une question cruciale : si, suite à ce genre d’échanges, Hermione n’appelle pas la sécurité, à quel genre de mariage avons-nous affaire ?

It’s dark, it’s fine, it’s the darkest timeline

Les voyages dans le temps n’ont pas que des inconvénients. J’apprécie déjà beaucoup le fait que l’intrigue soit plutôt sombre, et les rapports humains difficiles, parce que j’ai grandi depuis la sortie du 7, et que je dois à peu près correspondre au public visé par JK Rowling, qui a toujours su faire évoluer la complexité du point de vue porté sur le monde fictionnel avec l’âge de son lectorat. Mais j’apprécie beaucoup la darkest timeline. Je sais bien qu’on peut lui reprocher un manque certain d’imagination, et qu’une louche de totalitarisme rajoutée à une société déjà bien gangrenée donne des trucs vraiment, vraiment improbables du type « Oh non, je suis couverte de sang de pauvre ! » (aka, « j’ai encore du sang de Moldus sur mes chaussures »). C’est assez dommage parce qu’on sait qu’elle est capable de plus de subtilité : dans ce genre de cas les bourreaux ne se disent jamais « oho, je suis un bourreau, j’aime décapiter des chatons et torturer des gens dans les donjons entre deux cours de Potions ». Mais rien que d’imaginer Hermione et Ron avec un look à la Mad Max, et les longues soirées d’hiver de Snape devant supporter les blagues sur les Cracmols à la Grande Table pendant vingt ans, pendant que dans la Cabane Hurlante la tension sexuelle s’accumule, des étoiles brillent dans mes petits yeux chafouins. Je reste aussi sur ma faim : qui a tué McGo ? Qu’il se dénonce. Et se prépare à mourir. Bref, je pense que je suis trop bon public pour les intrigues pessimistes, ce qui biaise un peu mon appréciation, parce qu’en réalité la darkest timeline n’est pas très créative. Mais l’Ordre du Phénix est mon tome préféré, et j’aimerais vraiment en lire un remix gothique, alors je propose de crowdfounder un tome 9 à partir de cette strate temporelle, parce que je le vaux bien.

It’s time for our Harry and Hermione routine

J’ai eu l’impression que, tout au long du livre, JKR me narguait en montrant qu’elle était parfaitement consciente de ses propres défauts d’écriture, et faisait semblant de les corriger tout en retombant dedans. Est-ce qu’on peut appeler ça du fix-baiting ? Est-ce que ma machine à néoanglicisme est en train d’échapper à tout contrôle ? Vous voulez un exemple ? Oui je sens que vous voulez un exemple. Eh bien prenons un exemple.

Par exemple, Albus et Scorpius sont dans un bateau. Ils sont de toute évidence les Harry et Hermione des temps modernes, parce que modernité rime avec inutilité totale de Ron, si ce n’est pour la fonction de comic relief, qui échoie donc à Scorpius. Ce faisant, il devient le personnage le plus sympathique et aussi le plus intelligent, puisqu’il joue bien sûr le rôle d’Hermione. Cette fois-ci, Joanne Kate en est certaine, elle ne refera pas l’erreur de sacrifier le meilleur personnage à un héros caractériel et agaçant. Elle nous pousse du coude sur la question de la descendance de Voldemort, et on se dit « oh, il va être au centre de l’intrigue, parfait ». Elle lui donne une vie digne d’un drama coréen, avec tragédies familiales et romances contrariées (notez le pluriel). Elle nous offre des scènes où Scorpius rappelle gentiment à Albus qu’il n’est qu’un sale petit con qui devrait penser à ses privilèges. Et… voilà. Il ne se passe rien, Albus reste le foutu héros, et Scorpius se fait hermioniser dans les règles de l’art. C’est une forme très retorse de Suspension d’Abat-Jour. Je déteste ça, je déteste ça, je déteste ça. De toute façon, ce genre de choses était déjà courant dans Harry Potter : faire semblant de ne pas donner dans un cliché problématique tout en y donnant carrément est un des défauts de JKR, c’est en partie ce qui rend la société magique si problématique (elfes de maison, Serpentards, gobelins, etc).

« We need to talk about Steven »

Je crois que l’essentiel de mes frustrations peut se résumer en cette phrase lapidaire, sibylline, et pourtant étrangement pertinente (plus qu’une prophétie de calibre standard, de toute évidence, depuis qu’on a établi (?) que les prophéties, on s’en tamponnait l’oreille avec une babouche).

Pourtant, cette phrase a un versant ensoleillé. Un versant qui sent bon la plage et les rebuts de friture. Un versant arrosé par la mer et les pluies de bourgeons de roses. Un versant qui étincelle telle une perle entre vingt épée dansantes. Un versant Steven Universe.

Que l’on s’entende bien, c’est un territoire enclavé de la taille d’un tapis de Twister, mais il a, comme la Micronésie, le mérité d’exister. C’est sans doute dû à mes obsessions les plus fraîches (à suivre dans ma prochaine chronique, en exclusivité locale sur andthetempleofdoom, un jour, sûrement), mais j’ai parfois eu l’impression que nos deux nouveaux héros étaient faits d’un autre bois que les enfants de jadis. Entre les jeux de mots à deux Noises en flux tendu et les câlins à tout va, j’ai cru être devant de mini Steven (surtout Scorpius). Je les trouve beaucoup plus mignons, en ce sens, que ne pouvaient l’être Harry, Ron et Hermione, qui ne sont pas particulièrement connus pour leurs embrassades émues, si mes souvenirs sont bons. J’espère qu’on tient le profil de la nouvelle génération. Enfin, là encore, je pense qu’il faut surtout y voir une perméabilité de l’écriture de Rowling à la culture kikou du net.

Et puis, et puis, et puis, on paye très cher ces quelques secondes de rêverie universienne, avec Scorpius en Steven, Hermione en Pearl, Ron en Amethyst et Ginny en Garnet (oui oui). Parce qu’il y a un autre Steven dans cette équation. Mesdames et messieurs, j’appelle à la barre des accusés Steven Moffat.

Là encore, avant d’entrer dans la partie sanglante de mon propos, je dois bien avouer qu’il y a des avantages à la moffatisation de Rowling. C’est toujours agréable d’imaginer JK à 12 ans, mollement accoudée à un comptoir graisseux avec ses parents, à regarder Doctor Who entre deux sessions de pub quizz. On oublie trop souvent la britannicité de cette chère Joanne. Au Moffat de Doctor Who, elle emprunte un certain sens de la grandiloquence épique et des répliques du type « Run, you clever boy ». La proximité est parfois troublante. Mais. Mais. Mais.

MAIS.

Pourquoi, Seigneur, pourquoi, pourquoi faut-il donc qu’elle se mette elle aussi à faire du queer baiting ? Ce qui est terrible, et me donne envie de faire sauter des globes oculaires à l’aide de ma cuillère préférée, c’est qu’elle croit s’acheter une conscience d’auteure moderne en faisant quelques allusions sur la place des femmes. Ginny écrit des chroniques sportives, c’est Harry qui fait la cuisine et Hermione est de toute évidence le capitaine de cet improbable bateau (d’ailleurs, que faut-il conclure du fait que Rose porte les noms de ses deux parents, mais qu’Albus ne soit qu’un Potter ? Rien de très reluisant, je le crains). De la même manière, Ron aurait pu épouser une personne racisée (Padma), mais il n’en serait évidemment ressorti Rien de Bon. JKR a lu des fan fictions. Elle sait à quel point le monde entier réclame à cor et à cris de la romance LGBT (oui, le monde entier). Elle n’a pas le droit d’insérer des moments ambigus entre Albus et Scorpius si c’est pour les néantiser immédiatement par l’intermédiaire de Delphi et de Rose (même si j’aime plutôt le fait que Scorpius soit amoureux d’elle). Je trouve ça franchement déplaisant, surtout de la part de quelqu’un qui a fait faire son coming-out à un personnage en dehors des romans. D’autant que l’intrigue en aurait été tellement plus amusante… Je veux dire, imaginez la tête de Draco. C’est un couple de personnages qui était fantasmé dès la sortie du tome 7. J’espère que JKR sait au fond d’elle qu’elle n’est pas du tout aussi cool qu’elle pense l’être, parce que personnellement, sur ce point elle me fatigue.

Autre chose concernant le syndrome Steven Moffat : cette absurde notion selon laquelle on est censés aimer le personnage principal parce qu’il est le personnage principal, même si c’est un connard complet. Eh bien non, merci mais sans façon. J’aime Albus en looser magnifique, éventuellement, en tocard mélancolique ou dépressif, mais quand il devient un mini-Harry avec un narcissisme dix fois plus important que celui de son père et aucune sorte de considération pour son prochain (qui peut résister au coup de la couverture ? Petit salaud sans coeur), je refuse de continuer à le soutenir. Ce devrait être le moment où Scorpius devient le héros, et de fait JK a le bon goût de le faire disparaître, pour un temps (vous voyez que la darkest timeline est bien la meilleure qui soit), mais on sait bien que les hiérarchies entre personnages demeurent, telles la fontaine du Ministère de la Magie. Je ne serai pas l’elfe de maison des hôtes de ces bois.

Du coup, JK fait semblant d’être sympa, elle prétend aussi être subtile, et souvent, il me faut bien l’admettre, elle l’est. Mais si on creuse, on tombe assez vite sur une mine de valeurs problématiques encodées dans l’intrigue (un peu à la manière de Devinez Qui). Faut-il développer sur l’exaltation du sacrifice personnel (on ne sait même plus qui veut mourir pour qui dans cette histoire) ? Ou sur la génétique ? Seigneur, la génétique. C’était déjà le problème dans la première saga, et sa faiblesse irrémédiable dans une battle avec Lemony Snicket : JKR explique l’origine du Mal comme la Bible, c’est-à-dire mal. Voldemort est méchant parce qu’issu d’un viol (et en plus sa mère était moche). Du coup, Scorpius ne peut pas être son fils parce qu’il est trop gentil. Je tiens à souligner que c’est une explication véritablement avancée dans le texte, et que ça ne me paraît pas franchement mis à distance. Pour cette exacte raison, j’aurais beaucoup aimé qu’Harry, à force de se comporter comme un connard standard, ne fasse de son fils un Mage Noir, ça aurait fait les pieds au manichéisme biologique. Mais non, tout va bien, puisqu’au final bis delphiniam non placet. Bref, depuis la dernière fois, Joanne a mieux compris le déterminisme social, mais elle reste encore un peu trop essentialiste. Heureusement que les filles tiennent des chroniques de sport. Pffff.

Take another biscuit. Don’t be ridiculous.

Je me rends compte que je suis en train de faire de cette chronique une descente en flammes de ce brave HPCC, alors qu’au fond, je l’aime bien. Quiconque me connaît un peu n’y verra pas nécessairement de contradiction, mais en l’occurrence il est utile de préciser que trouver les points problématiques a quelque chose de plus divertissant que de louer ce que de droit. Sans doute parce que l’essentiel se résume au simple plaisir des retrouvailles, aux répliques cinglantes, au suspens, à la nostalgie des pages qui s’enchaînent sans qu’on puisse lâcher. Rowling a encore frappé. En dépit de tout, ça marche. Le fait même que ça marche aussi bien me donne occasionnellement l’envie irrépressible de la bourrer de coups, mais ça continue de marcher.

En vrac, donc. Le retour de Snape, le débriefe sur ses choix et sa mort, chose que je n’avais, dans ma grande stupidité, pas du tout vu venir. On se sent vengés par la vie, c’est formidable, c’est comme si Rickman ressuscitait. Ron et Hermione, l’éternel vaudeville : c’est à peu près le contre-exemple de tout ce qu’elle fait par ailleurs dans la pièce, à savoir tenter de corriger ses propres erreurs d’écriture. Rowling a déclaré il n’y a pas si longtemps que Ron et Hermione n’était pas faits l’un pour l’autre et qu’elle aurait mieux fait de marier Hermione à Harry. Ici c’est comme si elle revenait dessus pour nous dire : non, les héros torturés ne sont pas des cadeaux, on peut être une femme de pouvoir et avoir les genoux qui tremblent face à Tonton Dédé et ses blagues du Nouvel An. Dans ce sens, même s’il est au fond complètement absurde, le couple Ron-Hermione a un arrière-goût de vie réelle. JK est impénitente sur ce point. Elle insiste en nous montrant que dans toutes les time lines, la seule constante est un tango Marie Curie-Jo le rigolo, et ça, c’est fort. Les larmes de Dumbledore, compliquées par le fait qu’il n’est qu’un tableau. Le fait de se soucier des morts oubliés et de leur famille (Amos Diggory avec nous). Ces échecs répétés mais crédibles du dialogue familial. L’arrière-fond psychanalytique de toutes les scènes de rêve, et de l’intrigue de manière générale. Pétunia Dursley. L’histoire refusant obstinément de se répéter. Hermione rangeant le bureau d’Harry dans son dos. A baby and a holiday. Harry observant ses parents mourir. De manière générale, tout cet aspect à double tranchant du fan service qui débouche sur des scènes insoutenables, puisqu’on doit forcément faire mourir une deuxième fois les personnages momentanément ramenés à la vie. Ce comique de répétition totalement gratuit sur les Français. Scorpius : il est adorable, il est formidable, il fait tourner de son nom tous les moulins de mon cœur. McGonagall. McGonagall. Le simple fait de la faire revenir. Le fait qu’elle soit bien plus perspicace et une adulte de meilleur qualité que Harry (et qu’elle ait des notions de préservation de la vie privée). Le fait que Ginny ait été une enfant solitaire. Cette sensation générale que les choses ne sont pas aussi idylliques qu’elles le paraissent, ni aussi simples. Albus et Scorpius rejouant Roméo et Juliette. Le degré général d’émotivité. Ombrage. Cette incertitude morale entourant Draco comme un brouillard allemand. Scorpius the Dreadless, Malefoy the Unanxious. Rose sentant le pain. It’s time that time-turning became a thing of the past. La terreur diffuse qui naît au moment de la découverte du tatouage. Les caramels d’Hermione. Le fait que Scorpius cite presque Gertrude Stein. Le fait que les acteurs jouent plusieurs rôles, et les effets produits. L’impossible format de la pièce. Avoir fait sourire Severus Snape. Et toutes les autres choses qui parlent à mon petit cœur mou.

Rowling ne continue pas Harry Potter. Elle le ressuscite puis le tue, puis le ressuscite de nouveau, puis le tue, encore et encore, sous nos yeux ébahis, et le temps s’arrête, tourne sur lui-même, prend un instant pour réfléchir et commence à se rembobiner, essaye autre chose. Le plaisir du recommencement perpétuel. Ce n’est pas une suite, c’est un anneau de Moebius, et c’est, en quelque sorte, un tour de force.

Alors oui, oui est la réponse à la question « Plus de fan frites avec votre fan burger ? ». HPCC est fait de fan service. Mais Harry Potter a toujours contenu une part plus ou moins grande de fan service selon les tomes, il ne faut pas se voiler la face. Ça explique d’ailleurs l’horrible épilogue du tome 7, si vous voulez mon avis. Rowling a toujours cherché à nous faire plaisir, parfois trop, mais toujours avec sincérité. Elle n’est pas encore tout à fait de son temps, mais elle gère ses effets comme une grande. Mamy Jo se défend encore plutôt bien.

Et puis, une dernière chose. Certes, l’intrigue est cousue de fil dentaire et a des trous plus gros que la Sécu. Mais ce que nous rappelle le livre, c’est que, fut un temps, nous savions passer outre. Avant Youtube, avant HPMoR, avant même que nous touchions vraiment à Internet, nous lisions les tomes à leur sortie, et nous nous fichions bien de savoir si ces histoires de voyages dans le temps étaient vraiment cohérentes. We used to love the gibberish. Pour cette raison, accepter de lire HPCC d’un œil naïf, c’est un peu retourner au collège et se souvenir des longues nuits consacrées à terminer les livres, parce qu’une fois passé le chapitre 20, on sait qu’on est foutu.

But oh, but oh, but oh, the fanfictions

Quelqu’un m’a dit que le but essentiel d’HPCC était de rappeler que Rowling était la meilleure auteure de fan fiction d’Harry Potter au monde. C’est à peu près vrai, même si je suis certaine que parmi les millions de textes qui circulent, certains sont mieux construits et aussi drôles. La différence, c’est que tout cela sonne à nos oreilles comme plus réel que toutes les fan fictions de la terre. C’est injuste mais c’est comme ça : JK reste auteure, et au fond de nous, nous avons toujours tendance à lui laisser la préséance quand il s’agit de réellement modifier l’univers fictionnel. La plus grande qualité d’HPCC, au fond, c’est son élégance : plutôt que de reconstruire une intrigue sophistiquée et de condamner les possibles que nous avions imaginés depuis toutes ces années, Joanne-Joanne agrandit le tableau. Elle ne ferme aucune porte. Elle ne fait que creuser dans l’épaisseur temporelle du cycle, au lieu de le faire véritablement progresser, et ce faisant elle nous tend des milliers de fils narratifs à peine esquissés sur lesquels nous n’avons plus qu’à tirer. Oh les fanfictions. J’imagine à peine la masse nouvelle de textes que la pièce va produire, il y a tant à faire : qu’on me donne l’évolution psychologique de dark!Cedric, les années difficiles de Hermione-devenue-Snape, l’enfance de Delphy, la vie quotidienne dans la Cabane Hurlante, Astoria Malefoy, Boss Hermione et son idiot de mari, les vieux jours de McGo, et même, oui, la vie sentimentalo-immonde de Voldy et Bellatrix, j’y consens. Tout se passe comme si, avec la pièce, JK Rowling avait agrandi l’appartement, et nous laissait refaire la déco à notre guise. Certes, Joanne est une control freak, mais elle se soigne : nous sommes libres ; irrités, ingrats, révoltés, mais libres. Maintenant qu’elle nous a montré la voie, nous pouvons écrire les personnages dans leur maturité de manière plus convaincante. JK Rowling n’est pas l’auteur d’HPCC. Nous sommes les auteurs d’HPCC, depuis le début.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.