Merci à Maxime pour cette nouvelle sélection de podcasts ! La précédente est retrouvable ici.
Deuxième sélection de podcasts et émissions radios qui m’accompagnent depuis un moment et que je recommande urbi et blogi ! Menu du jour : géopolitique.
Tout un monde
(En cours — épisodes indépendants — 20 à 25 minutes par épisode)
Je vous ai certainement déjà bassiné parlé de cette excellente émission quotidienne (du lundi au vendredi) de la RTS (la radio publique suisse romande), que je suis assidûment depuis des années. Deux à trois sujets d’actualité géopolitique sont abordés en une grosse vingtaine de minutes. Les trois formats les plus fréquents sont les reportages de leurs correspondants, les résumés de situation d’actualité et les entretiens d’analyse. Le point fort est que les personnes interrogées pour ces derniers sont souvent vraiment expertes de leur domaine (typiquement des chercheur·euses en géopolitique, spécialisées dans une zone géographique ou un aspect précis). Bien entendu, il y a parfois quelques invitations ratées (notamment lorsqu’iels interrogent des politiciens, fussent-ils d’opposition (ce n’est jamais intéressant) ou des militaires (c’est toujours incroyablement vague)) mais c’est heureusement plutôt rare.
Un autre point intéressant réside dans le réseau plutôt bien fourni de correspondants permanents (qui ont donc le temps de s’imprégner et d’étudier leur pays d’affectation). Bien entendu, la radio publique d’une communauté de quelques millions de personnes ne peut pas entretenir un réseau couvrant le monde entier (l’Amérique latine et l’Afrique sont notamment peu desservies) mais, outre les incontournables pour ce genre d’émissions (Chine, États-Unis, Russie, grands pays européens, institutions européennes), on écoute avec plaisir des reportages réguliers sur les Balkans, la Grèce, la Turquie, le Japon, l’Inde, le Québec, la Scandinavie, la Pologne, la Hongrie, l’Australie, l’Autriche, Israël et les territoires occupés, etc. Mention spécial au travail extraordinaire de Maurine Mercier, correspondante de guerre (auparavant en Lybie et maintenant en Ukraine), qui fait des reportages bouleversants (souvent primés d’ailleurs).
Les sujets sont d’ordinaire liés à l’actualité mais plusieurs sont encore intéressants quelques mois plus tard, par exemple :
- Chine-USA, quand ça a mal tourné (juin 2023), une série de cinq sujets (1, 2, 3, 4 et 5) de Michael Peuker sur l’histoire et la dégradation des relations sino-américaines.
- Retour à Boutcha (22 février 2023) reportage de Maurine Mercier qui revient, dix mois plus tard, dans cette ville où elle avait recueilli des témoignages bouleversants sur les crimes de guerre. (Attention, description explicite de crimes de guerre et crimes contre l’humanité.).
- Le sens de l’histoire (6 janvier 2023), entretien avec Johann Chapoutot à l’occasion de son livre Le Grand Récit.
- Un carrefour géopolitique nommé Djibouti (4 mai 2023), sur ce pays méconnu pourtant au cœur de la géopolitique africaine et moyenne-orientale.
- Quand les assurances n’assurent plus (12 juin 2023), sur les assureurs américains qui refusent désormais d’assurer les biens immobiliers contre les risques naturels, devenus trop importants avec le changement climatique.
- Le Captagon, l’arme secrète de Damas (7 août 2023), sur cette drogue de la famille des amphétamines, monopole mondial du clan Assad, qui l’utilise comme argument de négociation internationale.
Géographie à la carte
(En cours — épisodes indépendants — 60 minutes par épisode)
Émission hebdomadaire de France Culture, qui parle de géographie et (donc) de géopolitique. Chaque semaine un sujet est traité en une heure à l’aide d’un·e ou quelques invité·e·s. Une carte choisie par l’invité·e est commentée en début d’émission (elle est visible sur le site web). Le présentateur (Matthieu Garrigou-Lagrange depuis septembre 2022) est vraiment très bon et à l’écoute de ses interlocuteur·ices. J’apprécie particulièrement le fait que les sujets sont très variés (on peut manifestement faire de la géographie avec tout).
Quelques épisodes qui m’ont plu :
- Les États-Unis peuvent-ils redevenir le pays du train ? (15 septembre 2022).
- 5 ans après #metoo, a-t-on féminisé les noms de lieux ? (13 octobre 2022).
- Taïwan : géographie d’une insularité sous pression (20 octobre 2022).
- Infrastructures critiques, géographie de nos vulnérabilités (24 novembre 2022).
- Corée : villes du Nord, villes du Sud (23 février 2023).
- Géographie du livre et de l’édition (20 avril 2023).
The Prince, Drum Tower & Next Year in Moscow
Lecteur, lectrice, si tu lis ceci, c’est que l’hôte de ces lieux fait preuve d’une grande ouverture d’esprit. Car oui, sous tes yeux ébahis, j’ose ici l’impensable : recommander des productions de The Economist. Ne fuis pas ! Quand il ne parle pas d’économie, c’est un journal intéressant ! Voici trois de ses podcasts (gratuits – ils contiennent bien sûr toujours un appel du pied pour s’abonner).
The Prince
(série finie de huit épisodes (plus deux bonus) de 30 à 40 minutes)
On commence avec mon coup de cœur (s’il fallait ne retenir qu’un seul podcast de cette sélection, ce serait celui-ci). The Prince est une série biographique sur l’homme géopolitiquement le plus important du monde, Xi Jinping. On y apprend foule de détails sur sa vie et, surtout, la construction de son pouvoir, via notamment des entretiens avec des témoins privilégiés (logiquement en exil). Quelques anecdotes amusantes allègent le récit, comme le fait qu’il était connu comme « le mari de Peng Liyuan » (son épouse est en fait une star nationale de la chanson et était de fait plus célèbre que lui avant 2010). Mais globalement on retient la lente, patiente, sombre et inexorable ascension d’un homme qui n’est pas encore au faîte de sa puissance, depuis l’enfance traumatisante du « petit prince rouge » dont le père fut purgé par Mao à l’apprentissage du métier d’homme d’État communiste chinois dans la province de Funian. Grosse recommandation.
L’autrice de ce podcast, Sue-Lin Wong, a dû s’exiler (elle couvre actuellement l’Asie du Sud-Est depuis l’Indonésie), ce qui est j’imagine un signe de la qualité de ses reportages sur la Chine. Les raisons derrière le titre de ce podcast sont multiples et expliquées dans un des épisodes bonus.
La série s’écoute dans l’ordre mais les épisodes 1 (Redder than red, sur son enfance comme fils d’un proche de Mao puis comme paria lors de la Révolution culturelle), 5 (He who must not be named, sur le fonctionnement de la censure en ligne) et 6 (Seeds of a pomegranate, sur le fonctionnement tentaculaire de la répression) m’ont particulièrement marqué.
Next Year In Moscow
(série finie de huit épisodes de 40 minutes)
Un an après l’invasion du reste de l’Ukraine, le journaliste russo-britannique Arkady Ostrovsky explore la vie et les parcours d’exilés russes dans un excellent podcast. Il en profite pour analyser l’évolution de la Russie depuis quelques décennies et décrire l’installation progressive du système répressif. C’est poignant.
La série s’écoute dans l’ordre mais les épisodes 5 (Hostages, sur le système clientéliste poutinien) et 8 (Arrivals, sur l’espoir du retour) m’ont particulièrement marqué.
Drum Tower
(en cours — épisodes indépendants — 30 à 40 minutes par épisode)
Après The Prince, The Economist a décidé de lancer en novembre 2022 un podcast hebdomadaire permanent sur la Chine, Drum Tower, animé par un duo formé de David Rennie (chef du bureau pékinois de The Economist) et Alice Su (correspondante pour la Chine ayant dû s’exiler à Taïwan). Je n’étais pas très convaincu par les premiers épisodes (mais, il faut le dire, l’excellence de The Prince avait placé la barre des attentes très, très haut) mais depuis environ mars 2023 la qualité est là.
Chaque émission couvre un sujet concernant la Chine (société, politique, culture, etc.). Les sujets ont parfois pour prétexte un événement d’actualité mais ils s’inscrivent le plus souvent dans le temps long et s’écoutent donc encore très bien en décalé.
Quelques épisodes qui m’ont particulièrement plu, par ordre chronologique :
- The Red and the Green (12 décembre 2022), sur ce que le Parti communiste fait de l’écologie et comment le militantisme écologique se trouve une petite place dans le système politique cadenassé chinois.
- Startle the Heart (19 décembre 2022), sur Regard de printemps, le plus célèbre des poèmes chinois — on apprend au passage quelques-uns des mécanismes qui peuvent intéresser la poésie chinoise, parfois différents de ceux utilisés par la poésie francophone »
- The Prince and the Prime minister (7 mars 2023), sur Li Keqiang, premier ministre de Xi pendant ses dix premières années, récemment remplacé. On apprend notamment qu’il travaillait à l’université sur le concept d’État de droit…
- Pain without parole (21 mars 2023), sur les mécanismes de la révolution culturelle et les difficultés encore actuelles d’en réparer les effets, à travers le cas d’un professeur injustement accusé de viol parce que son père servait dans l’armée nationaliste.
- Islands in the Strait (18 avril 2023), sur de petites îles taïwanaises qui se sentent en fait très chinoises.
- Chairman of Everything (25 avril 2023), sur un meilleur modèle pour comprendre Xi Jinping, Liu Shaoqi (président purgé par Mao).
- Two Top Guns (9 mai 2023), sur les deux films « Top Gun », américain et chinois, sortis presque en même temps, et les visions du monde qu’ils proposent à leur public.
- China’s LGBT Crackdown (30 mai 2023), sur la récente répression, d’origine politique plus qu’idéologique, des mouvements lgbt.
- The Cage (9 juin 2023), sur la répression des Ouïghours jusqu’en dehors des frontières de la Chine.
(Justifions-nous un petit peu : comme la Chine est la deuxième économie du monde et un gigantesque marché, The Economist s’y intéresse naturellement depuis longtemps et y entretient non pas juste un correspondant permanent mais deux bureaux de journalistes (plus un troisième à Hong Kong). D’un autre côté, comme il est impossible de comprendre et d’anticiper l’économie chinoise (et ne parlons même pas des autres aspects de la société chinoise) avec une approche purement néolibérale, lesdits journalistes sont obligé·e·s de retirer leurs lunettes économiques pour mieux analyser ce pays. D’où la qualité de nombreux reportages, sans rapport direct avec l’économie. Relevons aussi que les journalistes (en tout cas ceux qu’on entend dans le podcast) parlent couramment mandarin et peuvent donc se passer des interprètes pour certains entretiens avec la population.)
Bonnes écoutes !